EPISODE 1 - LE DEPART
27 Mai 2019 - « Une tortue sans carapace. »

« Vous passez la barrière, stationnez le véhicule sur le parking de droite, laissez les clés de contact accrochées au rétroviseur intérieur et vous pouvez y aller Messieurs Dame ».

Aussi simple que cela puisse paraitre, c'est ainsi que nous venons de laisser notre maison roulante sur le parking de la compagnie maritime au port d'Anvers. D'ici quelques jours, il sera chargé sur le cargo qui le mènera vers Montévidéo en Uruguay - premier pays de notre voyage.

Une étape de plus, mais quelle étape ! Et surtout quel tournant dans notre quotidien.

Hier matin, alors qu'il était grand temps de charger les dernières affaires qui nous permettraient de nous soulager le dos le jour de notre départ en avion, je me surprends à être d'une inefficacité inhabituelle. Lou me confie soudain qu'elle commence à avoir « une boule dans le ventre », et Yannick m'avoue un sentiment de stress face à l'inattendu des formalités qui se profilent au port. Le départ matinal à son tournoi de rugby préservera Pablo de cette agitation émotionnelle...du moins pour le moment ! C'est certain, cette nouvelle étape marque fortement le changement qui s'annonce pendant ces 13 mois et demi sur les routes du monde. Nous ne l'attendions pas aujourd'hui, pas si soudainement, mais il faut se rendre à l'évidence, les émotions nous bousculent plus qu'à l'accoutumée.

Une dernière photo de cet imposant véhicule dont le départ permettra enfin de retrouver notre cour et la commodité de son stationnement pour nos voitures, et nous voilà parti, Yannick et moi, sur la route pour Anvers.

Pendant le trajet, la vue des paysages qui défilent sous nos yeux nous ramène à des souvenirs de voyage que l'on a vécu en couple ou partagé avec les enfants. Notre GPS s'est mis en tête de nous faire profiter pleinement des splendeurs de notre belle Capitale en nous amenant à la traverser en son centre. Et Paris semble vouloir nous retenir en France quelques instants supplémentaires en mettant quelques ralentissements sur notre chemin. L'occasion de s'imprégner une nouvelle fois des images de ce patrimoine exceptionnel que nous ne reverrons pas de sitôt.

Nous rejoignons finalement le périphérique extérieur quand soudain, les richesses de ce Paris historique contrastent brutalement avec les sans-abris dont les tentes jonchent les quelques mètres carrés de gazon bordant le boulevard. Cette image me saisit. Le regard vide de deux hommes le long de la route, frôlés par les voitures, et dont la misère vient subitement d'éteindre les scintillements de notre Belle France me bouleverse. Je réalise que j'ai peur de ne pas être prête à affronter la misère. Peur de devoir l'expliquer aux enfants. Peur de me sentir inutile face à cette détresse. Peur de contraster moi aussi avec notre confortable maison sur roues. C'est un sentiment nouveau, il me faut le temps de l'appréhender.

Alors que je me questionne sur ce que l'on va pouvoir vivre et partager pendant cette aventure familiale, je prends parallèlement conscience qu'à compter de ce moment, mes pensées sont tournées vers le futur. Paris fut un électrochoc, une transition, un virage. Nous l'avons négocié en douceur.

Poursuivons la route.

Nous arrivons à Anvers vers minuit, le port est plus important que sa ville de 500 000 habitants. Il pleut, et l'organisation de ce mastodonte nous échappe. Nous préférons repérer le quai dès ce soir afin d'être présents dès 6h pour l'ouverture des bureaux. Nous dormirons à coté, cernés par d'autres camions et camping-car qui ont eu la même idée.

5H30.La nuit fut courte et agitée par le trafic au sein du port, mais l'alarme n'a pas besoin de retentir 2 fois. Gilet fluo obligatoire sur le dos, nous sommes prêts !

L'atmosphère qui règne dans la file d'attente du bureau d'enregistrement est atypique. Ici se côtoient de multiples nationalités et autant de particuliers que de professionnels. Certains repèrent, tâtonnent, observent, questionnent (comme nous !), pendant que d'autres nous demandent très sereinement de leur conserver leur place dans la file pendant qu'ils vont profiter d'un café !

Notre tour arrive. Nous avons au préalable rempli le document laissé à disposition sur les comptoirs, et présentons sereinement les papiers que l'on nous demande. 5 min plus tard, nous recevons le badge qui nous permet d'accéder aux quais, l'autocollant qui sera appliqué sur la carrosserie, et le fameux cordon vert fluo pour attacher la clé de contact dans le véhicule.

Nous dirigeons notre camping-car sur la balance, avançons ensuite le véhicule vers l'endroit indiqué par l'homme présent au contrôle, et voilà. L'étape tant redoutée par Yannick s'est passée comme une lettre à la poste. Il se détend.

Le port est situé à 20km du centre-ville. Les bus et taxis permettent de rejoindre la gare centrale, mais nous ne choisissons pas ces options. Nous ferons du stop ! Une manière de se glisser dans nos nouveaux habits de globetrotter que nous allons porter pendant cette année à venir. L'occasion de sortir de notre zone de confort et d'appréhender des situations qui seront sans doute courantes pendant notre présence en Asie. L'occasion de se rassurer sur les qualités humaines. Il ne faudra pas longtemps. Roel (prononcer 'Rou' - l'équivalent de Raoul chez nous) sera là pour nous conforter sur notre vision de la bienveillance présente en chacun d'entre nous. 20min après avoir levé le premier pouce et présenté notre pancarte improvisée indiquant « Center », il s'arrête et nous propose de l'accompagner jusqu'à ses bureaux, situés à 10 min à pieds de la gare ferroviaire.

Nous intégrons pour la suite le mode « touristes détendus ». La journée s'écoule alors entre visite d'Anvers, déjeuner à Bruxelles et enchainement de trains. Le soleil rayonne, la température idéale, nous savourons ces moments à deux.

Les enfants nous attendent à la maison, impatients de nous retrouver et de découvrir le récit de ces moments que nous venons de vivre.
Ce soir la tortue est dépourvue de sa carapace, mais elle ne se sent pas vulnérable pour autant. Dans un mois elle sera à nouveau parée pour avancer vers des terres inconnues, et cette fois : à nous l'Amérique latine !!

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