De quoi sera fait demain ? Voilà une question que nous ne
nous posons plus depuis plusieurs mois maintenant. Les événements arrivent au
moment où ils doivent arriver, et ce que l'on a compris au travers de ce
voyage, c'est qu'il faut savoir lâcher prise et accepter de ne pas être maître
de toutes les situations qui se présentent à nous, mais simplement s'y adapter...
Le 26 septembre dernier, nous quittons Lima avec pour
objectif de passer la frontière Équatorienne, en vue de profiter désormais de
la flore tropicale et de paysages verdoyants.
Nous emprunterons la Panaméricaine et ses monticules de
déchets qui la borde sur près de 500km pour nous arrêter à proximité de Tumbes.
Et alors que nous bivouacons au bord de l'océan
pacifique, à quelques 50km de la frontière Équatorienne, les actualités locales
nous informent pendant la nuit que l'actuel président Lenin
Moreno vient de signer un nouveau décret dont l'incidence est l'augmentation
immédiate de 123% du prix des carburants.
La réaction de la population ne se fait pas attendre et dès
le petit matin, l'ensemble des taxis bloque les principaux axes du pays.
Espérant pouvoir contourner les blocages via les axes
secondaires, nous poursuivons vers la frontière.
Sur la route, nous croisons plusieurs véhicules croulant
sous le poids de dizaine de valises attachées sur le toit. Cette vision nous
interpelle d'autant que les Péruviens ne sont pas réputés pour être de grands
voyageurs...il ne nous faudra que quelques minutes et l'arrivée à la frontière
pour comprendre que ces voyageurs sont en fait des migrants arrivant du
Venezuela.
Tristes images.
Nous voilà face à des centaines de familles prises en charge
par l'ONU et l'ONICEF, avec pour seule différence avec nous, le pays d'émission
de nos passeports. Quelle injustice...
Je reste un moment figée face à cette image que j'ai fini
par immortaliser comme pour mieux l'exorciser : celle de Lou, tenant dans sa
main nos 4 passeports, et sans doute en train d'imaginer librement la suite de
ce voyage, avec en arrière plan, ce camp rempli de
familles comme la nôtre, et dont l'avenir incertain est suspendu à la décision
des autorités administratives.
Cette vision me bouleverse profondément, et je me sens
soudain impuissante et triste.
Nous passons plus d'une heure à effectuer les formalités
d'entrée au sein de cette atmosphère qui nous déstabilise émotionnellement. En
nous renseignant auprès des fonctionnaires administratifs, nous comprenons vite
que nous ne progresserons pas beaucoup aujourd'hui.
En effet, 2 kilomètres seulement après le poste frontière,
l'axe principal est bloqué par les manifestants.
Nous quittons la voie rapide et tentons de suivre des locaux
sur les petites pistes parallèles, mais notre grosse tortue se faufile
difficilement sur ces pistes à la végétation formant parfois des obstacles
qu'il nous est nécessaire d'évacuer pour pouvoir progresser...
Après 2 heures à virer à droite et à gauche sur des chemins
non repérés sur les cartes en notre possession, nous décidons de rebrousser
chemin. Mais à ce moment-là, alors que la route principale permettant de
rejoindre la frontière Péruvienne nous fait face, les chauffeurs de taxi se
répartissent sur les pistes que nous empruntons et bloquent alors tous les
accès aux alentours.
Le stress commence à nous gagner.
Nous détournons le point de barrage via un chemin au milieu
des champs et repérons un passage qui rejoint les taxis de la voie principale.
L'espace laissé entre les véhicules stationnés nous permet de nous faufiler inextremis. Yannick accélère, laissant derrière nous les
manifestants et les fumées âpres des pneus brûlant sur la chaussée. Ouff...le poste frontière Péruvien nous fait face. Nous
sommes encore sous le coup de l'émotion et nous stationnons afin d'analyser la
situation et envisager désormais la suite de notre voyage, différemment.
Après plusieurs hypothèses, nous décidons de rester vers le
Nord Péruvien afin d'envisager un nouveau passage vers l'Equateur d'ici
quelques jours. Les chauffeurs de taxis nous ont évoqué un blocus de 3 à 4
jours, nous gardons donc espoir.
Vendredi 4 octobre. Après une nuit d'insomnie agitée par les
images perturbantes de la veille, le consulat nous informe de la mise en place
d'un état d'exception dans tout le pays pour 60 jours et déconseille l'entrée
en Équateur. Voilà qui au moins nous rassure quant à notre sage décision
d'avoir rebrousser chemin juste à temps.
Nous prenons la route vers Kualap,
à l'intérieur des terres. En chemin, nous faisons escale dans des villages de
montagne, l'occasion pour les enfants de partager des moments avec des petits
Péruviens.
À Sullana, des collègiens en
pleine séance de sport sur la place qui nous fait face sont soudain très
curieux de venir découvrir notre habitat, hors du commun à leurs yeux.
Délaissant leur professeur resté à l'ombre d'un arbre, ils se présentent à nous,
et un à un, montent à bord pour une visite guidée par Lou et Pablo, très
heureux de découvrir l'intérieur de cette mini maison. Pour ces enfants, c'est
aussi l'occasion de nouer le dialogue avec 2 petits étrangers de leur âge.
Après ce premier contact, Lou et Pablo finiront la séance de sport par un match
de foot avec toute la classe. En nous rejoignant au camping-car, ils arborent
un sourire qu'ils garderons une grande partie de la
matinée !
Le soir venu, la place d'un petit village deviendra leur terrain
de jeux, partagé avec plusieurs enfants du quartier. Invités dans la maison de
deux d'entre eux, ils découvrirons soudain la
simplicité de ces intérieurs. Des images comme celles qu'ils viennent de
découvrir parlent d'elles-mêmes...ce soir ils prennent conscience une fois de
plus combien la vie les gatte.
Et alors que les enfants jouent avec l'insouciance de leur
jeune âge, je fais de mon côté la rencontre d'une jeune femme, maman de 2 des
nouveaux copains de Lou et Pablo. Pendant 2 heures elle me parle de sa vie de
très jeune maman, des conditions de vie des femmes dans le pays, de ses rêves,
de son envie de partir vivre en Espagne, de son diplôme qu'elle devrait
décrocher en décembre... Elle s'extasie devant notre vie et le regard
administratif et envieux qu'elle porte sur notre famille me met quelque peu mal
à l'aise. J'aimerais qu'elle puisse elle aussi vivre ses rêves et j'ai
pleinement conscience que l'on ne part pas avec la même facilité de pouvoir les
réaliser...
Continuons.
Les jours qui suivent nous ramènent dans les hauteurs du
centre du pays, mais désormais, avec une atmosphère humide et chaude, entourés
de rizières et d'une végétation verdoyante aux allures tropicales.
Nous découvrons la jolie ville de Chachapoyas et prenons la
route vers la forteresse de Kuelap. Après une montée
en téléphérique, nous découvrons la vie de ces peuples Chachapoya,
vivant jusqu'à 1470 après J.C. Les vestiges des habitations circulaires, et les
motifs géométriques présents sur les murs restant, témoignent de ce passé et
diffère de ce que nous avons découvert jusqu'ici. La visite du superbe musée de
Leymebamba viendra nous en apprendre davantage
encore, en nous dévoilant cette fois des momies de ces peuples, dans un état de
conservation aussi remarquable qu'impressionant.
En repartant au camping-car, nous sommes contraints de
reprendre la route vers le sud. La situation en Équateur s'est encore dégradée
et désormais, la population indigène se rebelle. Le pays est totalement bloqué
et de violantes manifestations sont en cours.
Depuis Leymebamba, la route vers
le Sud nous a été déconseillée par des amis voyageurs. Pourtant, l'asphalte
semble récent et nous rassure sur les conditions de route que nous pourrons
rencontrer. Nous décidons donc de poursuivre sur cet axe.
Pendant 48 heures, c'est à flan de ravin et sur une route où
mieux vaut circuler sans avoir à se croiser que nous progressons jusqu'a la ville de Cajamarca. Ici les termes d'eaux naturellement
chaudes viendront éloigner les tensions accumulées par l'état des routes, et
l'incident rencontré lors d'un accrochage avec un camion que nous avons croisé
et qui, faute de place, nous a abîmé le coffre et la serrure arrière sur ces
petites routes de montagne.
Ici, des petites baignoires privatives pouvant accueillir
une famille permettent de profiter d'une baignade en toute intimité. On adore
ce concept et profitons pleinement de ce moment de détente.
Jeudi 10 octobre. Sur les hauteurs de la ville de Cajamarca,
nous découvrons un des endroits où étaient déposées les momies des peuples Chachapoya. Dans la roche surplombant la ville, une
centaine de cavités sont creusées et servaient à recevoir chacune la sépulture
des défunts, parfois sacrifiés au profit des dieux vénérés. Étonnant spectacle.
Nous reprenons la route vers l'ouest en vue de rejoindre la
panaméricaine et à ce moment, nous avons en tête de visiter la cordillère
blanche à environ 400km au sud de notre position.
Nous retrouvons l'océan pacifique et nous arrêtons à nouveau
à Trujillo pour cette fois y découvrir le réputé site archéologique de Chan Chan. Et alors que nous emprunterons le chemin menant au
site, nous prenons à bord 2 backpackers du nord de la
France. Arrivant tout juste de l'Équateur qu'ils ont réussi à fuir au milieu de
scènes très violentes et anxiogènes, ils nous racontent leurs mésaventures.
Nous profitons de cette rencontre pour partager ensemble la visite de Chan Chan. Notre guide francophone nous fera découvrir la population
Chimu à travers une partie de cet immense site qui s'étend sur près de 30000m2.
L'occasion également d'apprendre grâce à elle que les arbres à coton, présents
au Pérou, produisent pour certains du coton naturellement coloré. Les enfants
sont ravis de cette visite et de la compagnie de ces nouveaux voyageurs qui
nous accompagnent.
Après les avoir déposé à la gare routière, nous reprenons
cap vers le sud, toujours dans l'idée de rejoindre la cordillère blanche. Mais
alors que la bifurcation approche, les enfants nous font part de leur envie de
rejoindre Lima, espérant alors que la situation en Équateur se calme et nous
permette de rejoindre les îles Galapagos.
Compte tenu de la situation politique actuelle, le timing
semble peu probable...mais nous tentons tout de même cette option, las des
routes de montagne et du stress généré par la conduite à flanc de ravin.
Je réserve donc les billets d'avion pour Baltra
via Quito, dont la ville semble jusqu'à présent plus préservée.
Samedi 12 octobre. Sur la route depuis 2 jours, Lima est
désormais à portée de main. Tandis que Lou imagine passer son anniversaire en
famille bien qu'elle rêverait d'être entourée d'amis à cette occasion, nous lui
faisons la surprise de retrouver Stéphane et sa famille, expatriés tous les 4 à
Lima depuis 2 ans. Une soirée sous le signe de la gastronomie française dont
Lou se rappellera longtemps avec bonheur.
Nous passons le week-end à profiter de l'agréable quartier Miraflores dans lequel nous avons retrouvé notre place de
stationnement face à l'océan, et préparons désormais notre départ prévu mardi.
Mais plus le temps passe, et plus les messages
d'information sont préoccupants concernant l'Equateur, au point que la plupart
des vols au départ de Quito sont désormais annulés...
Dimanche 13 octobre. À moins de 48h du départ théorique pour
les Galapagos, la décision d'annuler les billets
d'avion afin de pouvoir bénéficier d'un remboursement de ce séjour semble
désormais incontournable. Mais alors que je m'apprête à régler le réveil afin
de contacter l'agence de voyage dès l'ouverture des bureaux à l'heure de la
France, le journal Équatorien nous alerte que le président Moreno est sur le
point d'annuler son dernier décret. En quelques minutes, la situation bascule
et ce sont désormais des scènes de victoire de la part de la communauté
indigène qui s'affichent sur nos écrans. Pendant la nuit, les barrages se
lèvent peu à peu jusqu'à ce que le pays retrouve en moins de 24h une situation
quasi normale.
Question de timing. Désormais, le destin semble enfin nous
offrir la possibilité de découvrir ces îles exceptionnelles. Nous n'osons
toujours pas y croire tant la probabilité de pouvoir s'y rendre paraissait
impossible quelques heures au préalable.
Mardi 15 octobre. Sur l'écran de l'aéroport de Quito s'affiche enfin l'information tant espérée : "Vol Quito-Galapagos - On time". Sourire aux lèvres, nous montons les escaliers nous menant à notre dernier avion, avec désormais la douce impression de vivre un rêve éveillé...