15 Octobre 2019
Episode 4 - De Lima à l'Equateur. Question de timing.



 

 

 

De quoi sera fait demain ? Voilà une question que nous ne nous posons plus depuis plusieurs mois maintenant. Les événements arrivent au moment où ils doivent arriver, et ce que l'on a compris au travers de ce voyage, c'est qu'il faut savoir lâcher prise et accepter de ne pas être maître de toutes les situations qui se présentent à nous, mais simplement s'y adapter...

 

Le 26 septembre dernier, nous quittons Lima avec pour objectif de passer la frontière Équatorienne, en vue de profiter désormais de la flore tropicale et de paysages verdoyants.

Nous emprunterons la Panaméricaine et ses monticules de déchets qui la borde sur près de 500km pour nous arrêter à proximité de Tumbes. Et alors que nous bivouacons au bord de l'océan pacifique, à quelques 50km de la frontière Équatorienne, les actualités locales nous informent pendant la nuit que l'actuel président Lenin Moreno vient de signer un nouveau décret dont l'incidence est l'augmentation immédiate de 123% du prix des carburants.

La réaction de la population ne se fait pas attendre et dès le petit matin, l'ensemble des taxis bloque les principaux axes du pays.

Espérant pouvoir contourner les blocages via les axes secondaires, nous poursuivons vers la frontière.

 

Sur la route, nous croisons plusieurs véhicules croulant sous le poids de dizaine de valises attachées sur le toit. Cette vision nous interpelle d'autant que les Péruviens ne sont pas réputés pour être de grands voyageurs...il ne nous faudra que quelques minutes et l'arrivée à la frontière pour comprendre que ces voyageurs sont en fait des migrants arrivant du Venezuela.

Tristes images.

Nous voilà face à des centaines de familles prises en charge par l'ONU et l'ONICEF, avec pour seule différence avec nous, le pays d'émission de nos passeports. Quelle injustice...

Je reste un moment figée face à cette image que j'ai fini par immortaliser comme pour mieux l'exorciser : celle de Lou, tenant dans sa main nos 4 passeports, et sans doute en train d'imaginer librement la suite de ce voyage, avec en arrière plan, ce camp rempli de familles comme la nôtre, et dont l'avenir incertain est suspendu à la décision des autorités administratives.

Cette vision me bouleverse profondément, et je me sens soudain impuissante et triste.

 

Nous passons plus d'une heure à effectuer les formalités d'entrée au sein de cette atmosphère qui nous déstabilise émotionnellement. En nous renseignant auprès des fonctionnaires administratifs, nous comprenons vite que nous ne progresserons pas beaucoup aujourd'hui.

En effet, 2 kilomètres seulement après le poste frontière, l'axe principal est bloqué par les manifestants.

Nous quittons la voie rapide et tentons de suivre des locaux sur les petites pistes parallèles, mais notre grosse tortue se faufile difficilement sur ces pistes à la végétation formant parfois des obstacles qu'il nous est nécessaire d'évacuer pour pouvoir progresser...

 

Après 2 heures à virer à droite et à gauche sur des chemins non repérés sur les cartes en notre possession, nous décidons de rebrousser chemin. Mais à ce moment-là, alors que la route principale permettant de rejoindre la frontière Péruvienne nous fait face, les chauffeurs de taxi se répartissent sur les pistes que nous empruntons et bloquent alors tous les accès aux alentours.

Le stress commence à nous gagner.

Nous détournons le point de barrage via un chemin au milieu des champs et repérons un passage qui rejoint les taxis de la voie principale. L'espace laissé entre les véhicules stationnés nous permet de nous faufiler inextremis. Yannick accélère, laissant derrière nous les manifestants et les fumées âpres des pneus brûlant sur la chaussée. Ouff...le poste frontière Péruvien nous fait face. Nous sommes encore sous le coup de l'émotion et nous stationnons afin d'analyser la situation et envisager désormais la suite de notre voyage, différemment.

Après plusieurs hypothèses, nous décidons de rester vers le Nord Péruvien afin d'envisager un nouveau passage vers l'Equateur d'ici quelques jours. Les chauffeurs de taxis nous ont évoqué un blocus de 3 à 4 jours, nous gardons donc espoir.

 

Vendredi 4 octobre. Après une nuit d'insomnie agitée par les images perturbantes de la veille, le consulat nous informe de la mise en place d'un état d'exception dans tout le pays pour 60 jours et déconseille l'entrée en Équateur. Voilà qui au moins nous rassure quant à notre sage décision d'avoir rebrousser chemin juste à temps.

 

Nous prenons la route vers Kualap, à l'intérieur des terres. En chemin, nous faisons escale dans des villages de montagne, l'occasion pour les enfants de partager des moments avec des petits Péruviens.

À Sullana, des collègiens en pleine séance de sport sur la place qui nous fait face sont soudain très curieux de venir découvrir notre habitat, hors du commun à leurs yeux. Délaissant leur professeur resté à l'ombre d'un arbre, ils se présentent à nous, et un à un, montent à bord pour une visite guidée par Lou et Pablo, très heureux de découvrir l'intérieur de cette mini maison. Pour ces enfants, c'est aussi l'occasion de nouer le dialogue avec 2 petits étrangers de leur âge. Après ce premier contact, Lou et Pablo finiront la séance de sport par un match de foot avec toute la classe. En nous rejoignant au camping-car, ils arborent un sourire qu'ils garderons une grande partie de la matinée !

 

Le soir venu, la place d'un petit village deviendra leur terrain de jeux, partagé avec plusieurs enfants du quartier. Invités dans la maison de deux d'entre eux, ils découvrirons soudain la simplicité de ces intérieurs. Des images comme celles qu'ils viennent de découvrir parlent d'elles-mêmes...ce soir ils prennent conscience une fois de plus combien la vie les gatte.

Et alors que les enfants jouent avec l'insouciance de leur jeune âge, je fais de mon côté la rencontre d'une jeune femme, maman de 2 des nouveaux copains de Lou et Pablo. Pendant 2 heures elle me parle de sa vie de très jeune maman, des conditions de vie des femmes dans le pays, de ses rêves, de son envie de partir vivre en Espagne, de son diplôme qu'elle devrait décrocher en décembre... Elle s'extasie devant notre vie et le regard administratif et envieux qu'elle porte sur notre famille me met quelque peu mal à l'aise. J'aimerais qu'elle puisse elle aussi vivre ses rêves et j'ai pleinement conscience que l'on ne part pas avec la même facilité de pouvoir les réaliser...

Continuons.

 

Les jours qui suivent nous ramènent dans les hauteurs du centre du pays, mais désormais, avec une atmosphère humide et chaude, entourés de rizières et d'une végétation verdoyante aux allures tropicales.

Nous découvrons la jolie ville de Chachapoyas et prenons la route vers la forteresse de Kuelap. Après une montée en téléphérique, nous découvrons la vie de ces peuples Chachapoya, vivant jusqu'à 1470 après J.C. Les vestiges des habitations circulaires, et les motifs géométriques présents sur les murs restant, témoignent de ce passé et diffère de ce que nous avons découvert jusqu'ici. La visite du superbe musée de Leymebamba viendra nous en apprendre davantage encore, en nous dévoilant cette fois des momies de ces peuples, dans un état de conservation aussi remarquable qu'impressionant.

En repartant au camping-car, nous sommes contraints de reprendre la route vers le sud. La situation en Équateur s'est encore dégradée et désormais, la population indigène se rebelle. Le pays est totalement bloqué et de violantes manifestations sont en cours.

Depuis Leymebamba, la route vers le Sud nous a été déconseillée par des amis voyageurs. Pourtant, l'asphalte semble récent et nous rassure sur les conditions de route que nous pourrons rencontrer. Nous décidons donc de poursuivre sur cet axe.

Pendant 48 heures, c'est à flan de ravin et sur une route où mieux vaut circuler sans avoir à se croiser que nous progressons jusqu'a la ville de Cajamarca. Ici les termes d'eaux naturellement chaudes viendront éloigner les tensions accumulées par l'état des routes, et l'incident rencontré lors d'un accrochage avec un camion que nous avons croisé et qui, faute de place, nous a abîmé le coffre et la serrure arrière sur ces petites routes de montagne.

Ici, des petites baignoires privatives pouvant accueillir une famille permettent de profiter d'une baignade en toute intimité. On adore ce concept et profitons pleinement de ce moment de détente.

 

Jeudi 10 octobre. Sur les hauteurs de la ville de Cajamarca, nous découvrons un des endroits où étaient déposées les momies des peuples Chachapoya. Dans la roche surplombant la ville, une centaine de cavités sont creusées et servaient à recevoir chacune la sépulture des défunts, parfois sacrifiés au profit des dieux vénérés. Étonnant spectacle.

 

Nous reprenons la route vers l'ouest en vue de rejoindre la panaméricaine et à ce moment, nous avons en tête de visiter la cordillère blanche à environ 400km au sud de notre position.

Nous retrouvons l'océan pacifique et nous arrêtons à nouveau à Trujillo pour cette fois y découvrir le réputé site archéologique de Chan Chan. Et alors que nous emprunterons le chemin menant au site, nous prenons à bord 2 backpackers du nord de la France. Arrivant tout juste de l'Équateur qu'ils ont réussi à fuir au milieu de scènes très violentes et anxiogènes, ils nous racontent leurs mésaventures. Nous profitons de cette rencontre pour partager ensemble la visite de Chan Chan. Notre guide francophone nous fera découvrir la population Chimu à travers une partie de cet immense site qui s'étend sur près de 30000m2. L'occasion également d'apprendre grâce à elle que les arbres à coton, présents au Pérou, produisent pour certains du coton naturellement coloré. Les enfants sont ravis de cette visite et de la compagnie de ces nouveaux voyageurs qui nous accompagnent.

Après les avoir déposé à la gare routière, nous reprenons cap vers le sud, toujours dans l'idée de rejoindre la cordillère blanche. Mais alors que la bifurcation approche, les enfants nous font part de leur envie de rejoindre Lima, espérant alors que la situation en Équateur se calme et nous permette de rejoindre les îles Galapagos.

Compte tenu de la situation politique actuelle, le timing semble peu probable...mais nous tentons tout de même cette option, las des routes de montagne et du stress généré par la conduite à flanc de ravin.

Je réserve donc les billets d'avion pour Baltra via Quito, dont la ville semble jusqu'à présent plus préservée.

 

Samedi 12 octobre. Sur la route depuis 2 jours, Lima est désormais à portée de main. Tandis que Lou imagine passer son anniversaire en famille bien qu'elle rêverait d'être entourée d'amis à cette occasion, nous lui faisons la surprise de retrouver Stéphane et sa famille, expatriés tous les 4 à Lima depuis 2 ans. Une soirée sous le signe de la gastronomie française dont Lou se rappellera longtemps avec bonheur.

Nous passons le week-end à profiter de l'agréable quartier Miraflores dans lequel nous avons retrouvé notre place de stationnement face à l'océan, et préparons désormais notre départ prévu mardi. Mais plus le temps passe, et plus les messages d'information sont préoccupants concernant l'Equateur, au point que la plupart des vols au départ de Quito sont désormais annulés...

 

Dimanche 13 octobre. À moins de 48h du départ théorique pour les Galapagos, la décision d'annuler les billets d'avion afin de pouvoir bénéficier d'un remboursement de ce séjour semble désormais incontournable. Mais alors que je m'apprête à régler le réveil afin de contacter l'agence de voyage dès l'ouverture des bureaux à l'heure de la France, le journal Équatorien nous alerte que le président Moreno est sur le point d'annuler son dernier décret. En quelques minutes, la situation bascule et ce sont désormais des scènes de victoire de la part de la communauté indigène qui s'affichent sur nos écrans. Pendant la nuit, les barrages se lèvent peu à peu jusqu'à ce que le pays retrouve en moins de 24h une situation quasi normale.

Question de timing. Désormais, le destin semble enfin nous offrir la possibilité de découvrir ces îles exceptionnelles. Nous n'osons toujours pas y croire tant la probabilité de pouvoir s'y rendre paraissait impossible quelques heures au préalable.

 

Mardi 15 octobre. Sur l'écran de l'aéroport de Quito s'affiche enfin l'information tant espérée : "Vol Quito-Galapagos - On time". Sourire aux lèvres, nous montons les escaliers nous menant à notre dernier avion, avec désormais la douce impression de vivre un rêve éveillé...

Laissez un commentaire





EPISODE SUIVANT
Episode suivant
EPISODE PRECEDENT
Episode précédent