On n'a encore jamais évoqué ce sujet, mais savez-vous ce qu'est l'ennemi le
plus sournois du voyageur camping-cariste ?
La poussière...
Elle se faufile partout, tâche les textiles, encrasse la carrosserie et met
à mal l'électronique.
Alors, on mène une guerre sans merci face à cet adversaire envahissant, qui
relance sans cesse le combat, variant son camouflage au gré des territoires
traversés.
Parfois rouge, d'autre fois jaune ou bien encore blanche. Elle s'accroche à
la carapace de notre tortue, espérant peut-être nous ancrer d'avantage dans ces
terres que nous explorons.
Mais au Chili, cette poussière qui nous envahit, nous relie plus que jamais
aux étoiles qui scintillent chaque soir au dessus de
nous. Et pour la première fois, on regarde cet ennemi différemment, posant les
armes le temps d'une trêve poétique au plus près des astres...
31 octobre 2019. Après plus d'un mois au Pérou, nous entamons ce 127ème
jour de voyage, bien décidés à nous rapprocher du Chili, ce nouveau pays
qu'il nous tarde désormais de découvrir.
Mais avant de quitter définitivement les terres Incas, nous nous imprégnons
une dernière fois de la riche histoire de tous ses peuples, au sein du réputé
musée régional de la ville d'Ica.
Une visite que nous ne sommes pas prêts d'oublier...
Entre les squelettes aux dreadlocks aussi longues que les corps, semblant
affublés d'une perruque tant les cheveux sont bien conservés, les crânes trépassés dans lesquels les cerveaux desséchés sont encore
visibles, ou bien cette main de momie que les archéologues n'ont rien trouvé de
mieux que de l'exposer au beau milieu de la grande salle, réhydratée dans un
bocal de chloroforme...Halloween n'est pas encore
passé, mais ici, on peut seulement en regretter les bonbons !
Après une nuit au pied d'une ancienne église sortie tout droit d'un décor
de carton pâte pour le cinéma hollywoodien, nous
repassons par Nazca et en profitons pour visiter le musée dédié à la mémoire de
Maria Reich, cette Allemande qui consacra sa vie à analyser les dessins formés
par les lignes si emblématiques de cette région.
Sa pièce de vie principale est imprégnée de l'odeur de poussière et de
renfermé qui se sont installées avec les années, mais le nombre de cartes et de
gabarits de mesures exposés derrière sa figurine, suffisent à eux seuls à nous
faire ressentir la somme de temps passée à l'observation sur le terrain, puis à
la retranscription de ses recherches sur la machine à écrire installée sur son
petit bureau en bois. Remarquable parcours de vie.
Laissant le combi Volkswagen de Maria Reich à son
musée, mais emportant avec nous une petite Lou très inspirée par l'acquisition
future d'un même véhicule pour parcourir le monde...nous poursuivons vers le
sud et profitons des grandes plages qui bordent la côte Pacifique, le temps de
bivouacs face à l'océan.
En chemin, nous observons le balai de milliers d'oiseaux et de pélicans
venus pêcher le long de la côte, accompagnés de dizaines de lions de mer,
visiblement très friands eux aussi des nombreux poissons devant se trouver là.
Bruyant spectacle mais très impressionnant.
4 novembre 2019. Après 2 jours de route au travers les paysages désertiques
annonciateurs de ce qui nous attend au delà de la
frontière Chilienne, nous entamons les formalités douanières que les autres
voyageurs nous ont décrit comme le passage le plus compliqué de l'Amérique du
Sud.
Préparés psychologiquement à une fouille poussée du camping-car, c'est
presque déçus par la simplicité et la rapidité de ce
passage, comparativement au temps consacré à la préparation du véhicule, que
nous franchissons les barrières d'accès...
Nous voilà arrivés au Chili.
De chaque côté de la route, le paysage n'est que poussière de sable. De fréquents tourbillons se forment au gré des rafales de vent chaud, qui viennent ponctuellement dévier notre conduite linéaire sur cette panaméricaine, ici tout en ligne droite.
Nous passons notre première nuit Chilienne dans la ville côtière d'Arica,
souhaitant y réaliser dès le lendemain matin les préparatifs habituels
entrepris à chaque entrée dans un nouveau pays.
L'étape initiale est la recherche d'un distributeur automatique de billets.
Une étape d'apparence facile, si l'on fait toutefois abstraction des nombreuses
émeutes ayant eu lieu dans tout le pays quelques jours auparavant...
Ici, les ouvriers réparent les vitrines caillassées,
les halls de banque incendiés, au milieu de magasins toujours protégés par des
planches de laméllé-collé, et dans une atmosphère que
l'on sens encore fébrile.
Après 2 heures passées dans des files d'attente interminables permettant
d'accéder aux seuls distributeurs en fonctionnement, le rejet systématique de
nos différentes cartes bancaires étrangères nous oblige désormais à trouver une
autre alternative. Comme un miracle, la solution va se présenter d'elle-même à
nous, au pied de l'église d'Arica signée Gustave Eiffel. Un expatrié breton,
venu se présenter à nous, attiré par les stickers sur notre camping-car, nous
conseille d'aller au distributeur à l'intérieur du casino.
Écoutant son conseil, nous réussissons enfin à récupérer du liquide, et en
profitons pour glisser un petit billet dans l'une des nombreuses machines à
sous qui nous entourent. L'alignement de têtes Incas nous fera repartir avec
quelques billets supplémentaires. Nous ressortons, amusés, retrouver Lou et
Pablo qui nous attendent sagement au camping-car, déçus à l'écoute de notre
anecdote de ne pas avoir eu accès à cet établissement si ludique à leurs yeux.
Plein d'eau et d'essence faits, frigo et placards remplis, nous reprenons la route vers le sud pour nous stationner ce soir face au village abandonné de Humberstone.
Mercredi 6 novembre. C'est sous un soleil écrasant que nous visitons
l'envoûtant village fantôme d'Humberstone, témoin de la rude vie des
travailleurs de l'industrie du nitrate du début du XXème siècle.
Les jouets réalisés avec du fer ou la découpe de boîtes de conserve
trouvent écho dans les yeux créatifs de Lou et Pablo. Les maisons d'ouvriers,
sobres et modestes, comparées à celles spacieuses et lumineuses des cadres
leurs permettront de comprendre les différentes classes sociales. Devant les
immenses moteurs et les anciennes locomotives à vapeur, ils prendront
conscience de l'activité du site. Mais c'est choqués par le massacre de
nombreuses familles, fusillées pour avoir simplement voulu défendre leurs
droits sociaux, qu'ils repasseront la barrière de sortie, sans doute songeurs
face à toutes les émotions qu'ils viennent de vivre pendant 3 heures. Sacré
leçon de vie et d'histoire ce matin...
Nous passons cette nouvelle nuit au bord du Pacifique et profitons d'un coucher de soleil magnifique le long de la côte d'Iquique. Une manifestation pacifique au coeur de la ville nous renvoie à l'instabilité sociale encore présente dans le pays. Nous restons attentifs à ces mouvements, espérant ne pas subir de nouveaux blocages dans les prochains jours.
Vendredi 8 novembre. Préférant repousser à plus tard la traversée monotone
du désert, nous longeons la côte vers le sud sur 200km.
Bifurquant ensuite vers l'est, nous retrouvons notre ennemi, revêtu
aujourd'hui d'une combinaison orangée claire aux nuances de jaunes.
Les tourbillons de poussière sont nombreux et les paysages dépourvus de
vie.
Arrivés à l'entrée de San Pedro de Atacama, un belvédère nous donne un
premier aperçu de la vallée de la lune. Ici, l'alternance de roches et de sable
donnent effectivement à ce paysage une impression lunaire. Magnifique.
Nous parcourons San Pedro, ville de backpackers cosmopolite, à l'architecture narguant les éléments. En effet, ici la plupart des constructions, dont l'église, sont réalisées en adoubé, mélange de terre rouge et d'herbe devenant dure comme la pierre en séchant. L'excellent état de ces murs témoigne de l'absence de pluie dans ce secteur géographique.
À défaut de trouver une véritable identité au milieu de cette ville-étape majoritairement touristique, nous y apprécions à contrario son excellente boulangerie de tradition française. Enfin l'occasion de retrouver le goût du bon pain et surtout de bonnes viennoiseries. Une aubaine en plein désert !
Samedi. Après une journée éprouvante à arpenter la vallée de la lune sous
un soleil brûlant, nous nous éloignons de San Pedro afin de rejoindre lagunes
et volcans plus au sud.
Mais avant, nous visitons l'intéressant musée consacré aux météorites.
Le désert de l'Atacama attire de nombreux
amateurs d'astronomie. Malheureusement, la lune claire du moment ne nous
permettra pas de rencontrer Alain Maury, cet astronome français installé ici,
et offrant à qui le souhaite, de bénéficier d'une partie de ses nombreuses
connaissances au travers l'observation des astres.
Nous nous contenterons de nous plonger dans cet univers mystérieux grâce
aux explications très détaillées de ce musée, apprenant aux enfants que des
météorites semblables à celles exposées devant eux étaient à l'origine de la
vie sur terre.
Nous sommes impressionnés par la puissance magnétique de ces pierres que
nous pouvons prendre en main, et stupéfaits par l'onde de choc des plus
conséquentes d'entre elles, allant jusqu'à l'équivalent de 2 bombes
d'Hiroshima. Remarquable.
Au travers des explications de notre audioguide, nous réalisons que, sans
le savoir, nous avons sans doute marché sur de la poussière d'étoiles, et
peut-être même effleuré l'une de ces centaines de pierre astrale tombée chaque
année dans le désert de l'Atacama.
Après cette poétique leçon de science, nous prenons route vers les lagunes Miscanti et Miñiques à 120km plus
au Sud, retrouvant ici les sublimes paysages du Sud Bolivien et ravivant alors
les étoiles qui brillaient dans nos yeux lors de la découverte de ces
merveilleux tableaux dessinés par la nature.
Sur la route, nous traversons la ligne virtuelle du tropique du Capricorne.
L'occasion d'une nouvelle découverte géographique pour les enfants.
Au milieu des montagnes, Lamas et Alpagas sont de retour, accompagnés de
quelques nandous, peu enthousiastes à l'idée de se laisser photographier.
Les couleurs des graminées et des fleurs qui tapissent le sol font
ressortir d'avantage encore ces étendues majestueuses et les deux lacs d'un
bleu profond que nous sommes venus admirer.
L'espace d'un instant, nous sommes de retour en Bolivie. Magique.
En reprenant la route inverse vers San Pedro de Atacama, nous décidons d'aller explorer le Salar. Arrivés tardivement à la lagune Chaxa, située au centre du désert, un décor inoubliable se dévoile sous nos yeux. Au milieu du lac, des dizaines de flamands rose s'endorment, sous les lueurs orangées du coucher de soleil éblouissant qui nous fait face. L'instant est tellement exceptionnel que nous restons silencieux plusieurs minutes, unis tous les 4 par une même émotion et ce même émerveillement qui nous empare.
Peu à peu, la nuit s'installe autour du camping-car, laissant place à des
centaines d'étoiles que les enfants ne se laissent pas d'observer, seuls au
beau milieu du désert.
Quelle fabuleuse journée...
Le lendemain, alors que le volcan Licancabur
attire notre regard sur plusieurs kilomètres le long de cette frontière
Bolivienne que nous affectionnons tant, nous prenons cap vers l'est, souhaitant
rejoindre l'Argentine avant les nouvelles manifestations prévues au Chili ce
mardi.
Nous délaissons les températures caniculaires pour retrouver la fraîcheur
accompagnant les 4000 mètres d'altitude de l'altiplano.
Comme un clin d'oeil, les antennes de l'ALMA (Atacama Large Millimeter Array) se laissent apercevoir au loin, nous reliant une dernière fois avec la science de la voie lactée.
Et alors que la frontière Argentine se franchit sans problème, notre
transformateur électrique se met soudain en surchauffe, émettant une alarme
stridente qui fera sursauter toute la famille.
Après plusieurs tentatives de déconnexion et de reconnexion, notre esprit
terre à terre reprend le dessus.
Armés d'un souffleur à air comprimé, c'est soudain évident : il est
désormais temps de reprendre le combat !