9 Septembre 2019
Episode 1 - De Puno à la montagne aux 7 couleurs - des hauts et des bas



 

 Depuis le début de ce voyage, l'écriture s'est imposée à moi comme une évidence. À un moment, les mots bouillonnement dans ma tête, et sans prévenir, s'écoulent sur le papier comme un trop plein impossible à retenir. Alors, quelque soit l'heure où l'endroit, je laisse les phrases se déverser sur mon mon petit carnet rose ou sur mon téléphone. Laissant ainsi nos souvenirs se graver, comme pour mieux les retenir.

Mais depuis Copacabana, les dernières pages blanches de mon carnet restaient vides, les mots ne venaient plus, et ce bouillonnement imprévisible commençait à me manquer. À croire que l'ascenseur émotionnel de ces derniers jours inhibait une partie de mon cerveau pour mieux lui laisser le temps de se stabiliser.

Sans prévenir, c'est ici, tout en haut de cette montagne nommée Winikunka, à 5009m d'altitude, que le bouillonnement est soudain revenu. Alors que mon énergie était au plus bas, le besoin d'écrire, de raconter ces derniers jours, de coucher sur le papier ces moments difficiles et extraordinaires que nous étions en train de vivre revenaient quant à eux au plus haut.

À ce même instant, dans un souffle forcé et manquant d'oxygène, Lou s'approche de moi, et lors d'un ultime effort me dit : "maman, je crois qu'on va mourir". À bout de force, je rassemble le peu d'énergie qu'il me reste afin de pouvoir lui répondre : "oui..., j'en suis sûre...mais pas aujourd'hui ma chérie !".

Alors que je la regarde me sourire, les souvenirs des jours passés me reviennent...

 Puno. Une fois n'est pas coutume, cette ville résonne pour nous comme un port prêt à nous permettre de retaper notre navire. Le voyant s'allume régulièrement sur le tableau de bord et malgré nos interventions répétitives, le filtre à particules continue à nous jouer des tours. Nous nous mettons donc en quête d'un additif qui pourrait peut-être palier à la mauvaise qualité de Diesel accumulée en Bolivie.

Après quelques recherches dans la rue Bolivar où tous les réparateurs automobiles se succèdent, nous trouvons un produit qui semble répondre à nos attentes. Nous en profitons pour aller faire le plein avec un diesel Péruvien réputé de meilleur qualité. Le garagiste nous informe qu'à 50km de Puno, se trouve un garage Fiat.

Nous ayant mis en tête d'aller sur l'île de Taquile le lendemain, nous prenons tout d'abord la direction du port afin de réserver nos billets.

Et alors que Yannick aperçoit une place juste derrière un camping-car, ce qui est rare par ici, nous apercevons le logo de notre département sur la plaque d'immatriculation !

Espérant voir les propriétaires, je finis par aller déposer un mot sur le pare-brise quand tout à coup, les voilà qui arrivent. Cette famille de Vouneuil sous Biard est elle aussi en tour du monde jusqu'en juin 2020.

Impensable...nous vivons à seulement 25 km les uns des autres et comble du hasard, avons prévu quasiment le même itinéraire !

Les enfants sont enchantés par la rencontre avec leur fille Sacha qu'ils vont retrouver au collège.

Et une fois encore, entre voyageurs, les récits de voyage et conseils en tous genres mettent le temps en suspension. Grâce à cette rencontre improbable, nous allons comprendre un élément essentiel à notre problème de filtre à particules : à vouloir rouler tranquillement en deçà des 2000 tours minute, nous avons sans doute participé à l'encrassement du filtre.

Cette discussion nous redonne de l'espoir côté mécanique, et c'est donc confiants dans l'avenir de notre moteur que nous partons vers le garage Fiat.

Sur la route, Yannick pousse les chevaux et évite la 6ème. Arrivés sur place, on nous conseille finalement d'aller à Arequipa car le garage n'est pas équipé pour nettoyer le filtre. Qu'à cela ne tienne, nous repartons vers Puno au rythme de 3000tr minutes. Arrivés à l'entrée de la ville, nous rebranchons l'ordinateur et lançons une nouvelle régénération forcée.

Et là, à la lecture des quelques lignes affichées sur l'écran du PC, notre moral remonte en flèche d'un coup : "Filtre non colmaté - état normal - régénération OK". Victoire !! Cette fois, tout est rentré dans l'ordre. Nous sommes d'humeur festive et le mental des troupes revient alors au plus haut. Soulagés, nous retrouvons le port afin d'être au rendez-vous fixé à 7h demain matin par notre capitaine.

Le départ pour cette journée de visite sur les îles Uros et sur l'île de Taquile nous replonge Yannick et moi 10 ans en arrière, lors de notre premier voyage au Pérou. Et comme 10 ans plus tôt, l'arrivée sur les îles très touristiques d'Uros font remonter en moi ce sentiment d'oppression. Impossible de rester en place...je tourne comme un lion en cage au milieu de ce folklore qui me met mal à l'aise. Jusqu'à devoir m'isoler sur le pont du bâteau, loin des touristes que je domine désormais...au calme. Les enfants et Yannick me rejoignent quelques instants plus tard, suivis par d'autres personnes que ce spectacle ne réjouis visiblement pas non plus. Quelques minutes de patience, et nous reprenons notre navigation jusqu'à l'île de Taquile. Ici, plus de folklore intempestif, nous restons avec notre guide et un autre couple italien. Il nous donne de nombreuses explications sur la vie de cette communauté, et la balade au coeur de cette île tranquille dont le paysage est splendide nous redonne l'énergie positive que nous avions perdue l'heure précédente sur les îles en roseaux.

Nous laissons une partie de notre groupe sur cette île pour la nuit et rentrons vers Puno sous le soleil couchant, admirant la vie de ce lac d'altitude avec ses pêcheurs, ses hommes coupant les précieux roseaux au coeur de cette vie atypique, et ses femmes souvent à la barre des embarcations à moteur.

Remis des émotions mécaniques de ces derniers jours, nous trouvons refuge dans le jardin d'un hôtel, où nous faisons connaissance avec une famille du Venezuela et des Pays-Bas, et un couple originaire de Grenoble voyageant avec leur jeune garçon. L'occasion pour les enfants de jouer avec de nouveaux copains, et pour nous de profiter de nouveaux conseils de ces voyageurs.

La présence de la WiFi nous permet de mettre à jour notre site internet et de faire le point sur nos mails.

Les messages de nos amis nous rappelant que 2 jours plus tard aura lieu la rentrée des classes nous reconnecte alors avec une réalité dont nous nous sentons désormais bien éloignés...

Bizarrement, cette reprise du quotidien et du rythme effréné qui s'en suit habituellement vient faire résonner en moi un sentiment de solitude. Nos amis me manquent profondément, et le décalage qui s'annonce entre notre rythme et celui que nous aurions dû retrouver au retour de vacances estivales habituelles me déstabilise tout autant que les propositions d'emploi que je reçois depuis quelques jours... La perspective du retour n'est décidément pas d'actualité, et en tout cas, mérite encore de s'affiner.

Les enfants improvisent une petite vidéo sur leur vie d'élèves tourdumondistes au sein du camping-car. L'occasion de souhaiter une bonne année scolaire à leurs copains d'école, ainsi qu'à leurs amis virtuels qui suivent leurs aventures à distance.

En les voyant si positifs et sereins, je suis à nouveau en phase avec cette extraordinaire expérience familiale... Le moral remonte tout à coup.

Nous avions prévu de partir de bonne heure ce samedi matin...mais après plus de 2 heures de discussion avec les voyageurs Grenoblois, c'est finalement après le déjeuner que nous quittons Puno.

L'envie de suivre la route contournant les volcans et les lacs pour arriver par le Sud d'Arequipa nous tente bien... Profitant désormais d'un véhicule qui ronronne comme un neuf, nous nous engageons donc sur cette piste de 200km.

Pendant 2 jours, nous sommes seuls, coupés de toute civilisation, au milieu de paysages qui nous rappellent ceux du Sud Lipez. Nous profitons du calme et de la beauté des lacs pour bivouaquer, et prenons le temps d'observer les Alpagas, les vincuchas, et les milliers d'oiseaux et de flamants rose qui peuplent cet environnement de l'altiplano. Magnifique...

Arequipa. De retour à la civilisation, nous profitons de cette grande ville pour nous approvisionner en vue des prochains jours prévus dans les montagnes. Nous trouvons refuge par hasard au sein d'une propriété privée surveillée par un gardien qui siffle le premier chien errant osant s'aventurer dans l'enceinte de ces villas. Cela amuse beaucoup les enfants, et nous rassure grandement quant à la sécurité de notre tortue pendant nos absences.

Nous passons 2 jours ici, à découvrir cette jolie ville construite principalement avec des pierres volcaniques blanches. La cathédrale immense qui trône à côté de la place principale est magnifique et impressionnante de par sa taille. Quant à l'ancien couvent, c'est tout simplement une ville au coeur de la ville !

Après un repas aux saveurs Péruviennes et son fameux Pisco Sour en guise d'apéritif, nous passons chercher nos 20kg de linge avant d'envisager de repartir. Une dernière nuit de sommeil sous le regard bienveillant du gardien, et nous quittons Arequipa. Plein d'essence, d'eau, et assurance Péruvienne en poche, direction plein nord.

350km nous séparent désormais de notre prochain objectif : la montagne aux 7 couleurs.

Mais avant, nous souhaitons retourner dans le Canyon de la Colca, où les cultures en terrasses et les vols des condors nous ont offert des souvenirs impérissables lors de notre premier voyage ici. Nous stationnons le camping-car à l'écart de la foule et empruntons un sentier qui longe le canyon. Les premiers condors apparaissent sous les yeux ébahis des enfants.

Et alors que nous observons le balai de ces grands oiseaux et les aller-retour de l'un d'eux, un condor nous survole à peine quelques mètres au-dessus de nos têtes, dans un "Whaoufff !!" aussi intense que l'amplitude de cet animal ! Souvenir émouvant et intense qui nous réuni tous les 4 autour de la même émotion...

Enthousiasmés par la première rencontre avec ces rapaces, les enfants demandent à passer la nuit au milieu de cet environnement magnifique. Nous profitons de l'après-midi pour découvrir le canyon au delà de ce que nous avions eu l'occasion de voir il y a 10ans. Et alors que nous sommes stationnés sur un mirador, Steve, Clémentine et Timeo, les Grenoblois rencontrés à Puno, s'arrêtent pour nous y retrouver. Une nouvelle occasion de partager nos aventures respectives de ces derniers jours. Après un petit moment ensemble, ils repartent vers l'ouest.

Loin de l'affluence matinale des touristes, désormais seuls dans ce canyon, nous profitons de la valse de quelques condors, dansant devant nous sous la lumière rasante du coucher de soleil. Instant privilégié...

Après une nuit paisible, nous entamons une dernière matinée sur le mirador "Cruz del Condor". Nous attendons les oiseaux et désespérons de les voir arriver. Mais alors que nous sommes prêts à repartir, en voilà un ! Puis 2, 5, 9, 13... jusqu'à 16 !! Captivés par ce nouveau balai, nous ne regrettons pas d'être restés ici cette nuit et profitons pleinement de ce spectacle majestueux.

Il est désormais temps de poursuivre. Nous rebroussons chemin et profitons d'une halte à Chivay pour compléter nos provisions en fruits et légumes.

C'est reparti.

Pendant 48 heures, nous enchaînons les cols et les descentes au milieu de l'altiplano, oscillant entre 4000 et 4700m d'altitude. Altérnant entre routes asphaltées et simple couche de cailloux, nous obligeant même par endroit à remblayer une partie de la piste afin de pouvoir poursuivre notre chemin.

Nous profitons d'un passage à côté d'une rivière pour débarrasser notre tortue de toute la poussière accumulée lors des 200km hors des sentiers battus.

Nous approchons.

La dernière piste vers la montagne aux 7 couleurs se présente et nous donnera quelques sueurs froides.

Au détour d'un virage, une femme nous fais signe. Sur cette route en lacés où l'on ne peut se croiser que ponctuellement seulement, ce couple a refermé les portières de sa voiture en laissant la clé sur le contact. Après une heure d'essais en tous genres, la vitre arrière devra finalement être cassée afin de palier à cette situation.

Cette heure d'arrêt imprévue, nous finirons les derniers kilomètres de montée jusqu'au parking à la seule lumière des phares et très crispés à l'idée du précipice présent à nos côtés...

Enfin nous y sommes.

Nous nous nous stationnons en sécurité, juste devant le point de départ de notre randonnée vers la montagne aux 7 couleurs.

Le lendemain matin, alors que le réveil est programmé à 7h15, il est 6h00 quand le soleil rayonne et nous motive à nous activer plus tôt que prévu. Et alors que l'alarme retentit, nous sommes déjà sur le parking, prêts à passer le poste de contrôle, motivés par ce treck dont les images des guides touristiques nous ont procuré l'envie de découvrir cette nouvelle merveille de la nature.

Nous sommes seuls sur le sentier, où une femme avec son mulet prend la même direction que nous. Dès les premiers mètres, nous débutons une ascension qui paraît interminable vers cette montagne qui se fait pour l'instant très discrète. Nous respirons difficilement, et après seulement une demi heure, il est déjà temps de s'asseoir et de reprendre des forces. Les enfants sont épuisés... et nous n'avons pas fait le tiers de la distance. Yannick les aide et nous progressons difficilement, pas après pas. La femme et son canasson nous ont devancé, nous faisant ainsi profiter d'un raccourci utilisé ici par les autochtones... on la bénie !

Au détour d'un virage, la montagne se dévoile enfin...et avec elle, une nouvelle source de motivation ressurgit !

Nous poursuivons... lentement...

Mon énergie est au plus bas, celle des enfants aussi. Je les regarde, épuisés, et n'ai même pas la force de les aider, ayant à peine assez d'énergie moi-même pour continuer à mettre un pied devant l'autre. Heureusement, Yannick fait le saint-bernard. Il navigue entre Lou et Pablo afin de les aider dans cette montée infernale à prêt de 5000m d'altitude.

Arrivés dans une prairie bondée par les Alpagas, nous comprenons que la plupart des touristes arrivent au pied de cette montagne en minibus, où finalement seule la dernière côte reste à gravir. Mais nous notons avec quelles difficultés ils progressent malgré tout, et alors que nous avons déjà 2 heures d'ascension dans les jambes, je ne peux qu'être fière de nous et surtout des enfants, qui font preuve d'un courage remarquable.

Pendant cette dernière montée, mon coeur s'emballe et mon souffle manque, au point de sentir mes jambes me lâcher. Mes pensées me projettent soudain en Charente Maritime où le coeur d'Arnaud, notre "doc", s'est arrêté prématurément le mois dernier. Mon moral est au plus bas, et alors que je tourne la tête en direction du magnifique glacier qui nous surplombe, un flash back me propulse en enfance, dans le carton à chaussures qui renfermait les centaines de clichés noir et blanc pris en montagne par mes grands parents paternels. Souvenir soudain de cette photo d'eux, souriants, sur un éléphant en Thaïlande... puis de mes grands parents maternels, ces immigrés italiens qui ont trouvé la force de s'adapter à leur nouveau pays, déracinés malgré eux. Comme prise par la main par l'énergie de ces deux générations de voyageurs à qui je dois en grande partie ma construction en tant qu'adulte, je retrouve la force de progresser, désormais à une centaine de mètres seulement du premier col...

Malheureusement, ça ne durera pas longtemps, et la main de Yannick sur quelques mètres sera la bienvenue.

Enfin, les dernières marches apparaissent, et avec elles, ce sommet si caractéristique.

Nous voilà en haut.

Wouahhh !!! Nous sommes subjugués par la beauté de ce site. Assis, face à l'immensité des lieux, les bourrasques sont glaciales, l'oxygène manque, mais rien ne nous fera regretter cette ascension si épuisante, tant les couleurs autour de nous nous captivent. Nous puisons dans le peu d'énergie encore en notre possession pour gravir un dernier sommet. Nous sommes désormais à 5036 mètres d'altitude, plus haut que le Mont Blanc !

Malgré la nausée, je me force à manger un morceau. Nous nous posons quelques minutes avant d'entreprendre la descente. 8km nous séparent de notre tortue, sagement garée 485 mètres plus bas.

À 11h43, nous retrouvons notre maison, épuisés, mais remplis de fierté d'avoir dépassé nos limites, et de la joie d'avoir pu découvrir ces lieux magnifiques et envoûtants.

Après une sieste ressourçante, nous redescendons désormais vers Cusco, des images mémorables plein la tête, et qui vont sans doute nous laisser tout en haut de ces montagnes l'espace de quelques temps encore...

Laissez un commentaire





EPISODE SUIVANT
Episode suivant
EEPISODE PRECEDENT
Episode précédent