2 Juillet 2019
Episode 3 - LES SILENCES DE EL FUERTE DE SAMAIPATA



 

C'est fou ce qu'un silence peut nous renvoyer comme émotions...

Face à l'étendue d'un paysage dépourvu de tout bruit urbain, certains vont y puiser une sérénité absolue, quand d'autres, oppressés par cette nature silencieuse, auront besoin de retrouver le bruit de la civilisation. Alors que parfois il n'est pas nécessaire de parler pour comprendre la personne face à nous et partager une même émotion, à d'autres moments pourtant, un silence au milieu d'une conversation laisse soudain place à une certaine gêne que l'on se sent parfois obligés de combler. Oui, ils en disent long les silences... et pendant ces quelques jours au milieu des montagnes de Samaipata, ils nous ont bel et bien parlé.

Jeudi 1er juillet. Nous quittons le bruit des klaxons et de la dense circulation de Santa Cruz de la Sierra pour le village de Samaipata, à une centaine de km à l'Ouest de cette ville. Pour rejoindre ce village, pas le choix, une seule route se dessine sur la carte routière. Nous voilà donc engagés sur cette route bitumée, où au loin, se dessinent les premières montagnes de notre voyage.

Le soleil rayonne, ce qui magnifie d'autant plus la vue qui se déroule au fil des kilomètres.

Nous montons progressivement en altitude, jusqu'à nous retrouver sur des pentes plus accentuées, au milieu des montagnes. Sur ces routes, rien n'est régulier, nous l'avons appris avec l'expérience de ce voyage. Et ici, des glissements de terrains visiblement récents recouvrent ponctuellement la route de pierres ou de terre.

A mi-chemin, au milieu de ces étendues montagneuses, des voitures sont arrêtées. Une section est justement recouverte d'une boue rouge, très humide malgré l'absence de pluie depuis quelques jours. Nous sommes les prochains à devoir traverser cette zone instable. Et alors que nous attendons le passage d'un camion qui arrive en contresens, ce dernier se met soudain à chasser de l'arrière de manière incontrôlée, et arrive droit sur nous de toute sa longueur... nous retenons notre souffle, incapables de se rendre acteur de quoi que ce soit dans pareille situation, bloqués par les véhicules derrière nous. Au dernier moment, et on ne sait toujours pas par quel miracle, le chauffeur redresse suffisamment pour que le camion vienne nous frôler sans nous percuter... ouff !! Nous reprenons notre souffle.

Mais c'est désormais à nous de nous confronter à cette traversée en dévers. Yannick prend de l'élan, et dans un silence anxiogène, nous nous en remettons à sa conduite... et au St Christophe offert par la marraine de Pablo, et qui nous accompagne depuis notre départ ! Nous penchons fortement sur la droite, au point que Pablo imagine déjà le camping-car couché sur le flanc. Mais après plusieurs mètres de progression en apnée, le revoici posé sur une piste caillouteuse, plane et surtout sèche ! On peut à nouveau respirer...

Nous poursuivons notre ascension.

Alors qu'il nous reste une quarantaine de km avant de rejoindre Samaipata, Yannick est surpris à deux reprises par la pédale d'embrayage qui s'enfonce toute seule. Une fois de plus, le silence nous gagne, tous les 4 suspendus autour d'une même angoisse.

Ici le ravin borde le côté passager, et la route est trop étroite pour envisager de s'arrêter dans ces lacets de montagne. Un peu plus loin, un accotement enherbé nous permet de se stationner, au moins le temps de faire refroidir le moteur et le système de frein. La nuit va bientôt commencer à tomber, il nous est impératif de reprendre la route afin d'éviter les dangers d'un tel arrêt en pleine montagne, au milieu des chauffeurs pressés, mâchant inlassablement leur chique de coca.

Les 30 derniers kilomètres se feront en évitant de jouer avec l'embrayage. Dans ces conditions, Samaipata apparait enfin...

Après avoir traversé une rivière à la recherche du camping finalement inaccessible pour notre grosse tortue, nous nous stationnons à côté de la charmante place au centre du village.

La première balade nocturne au coeur de ces fraiches ruelles nous renvoie une atmosphère agréable et rassurante.

Le lendemain matin, nous préférons confier notre transport vers les ruines Incas à Benito, un sympathique chauffeur de taxi stationné juste à côté du camping-car. L'occasion d'obtenir quelques informations sur ce village et la vie bolivienne en général.

A bord de ce taxi, nous nous félicitons avec Yannick d'avoir opté pour cette décision nous évitant de monter avec notre maison sur roues. Une fois de plus, la route en lacets très serrés est parsemée de roches tombées récemment de la falaise, et une fois n'est pas coutume, une rivière descend de la montagne et traverse cette unique route. Benito nous explique qu'en fin d'année, le site Incas est souvent inaccessible car il est alors impossible de traverser. Il m'explique aussi qu'ici les éboulements sont fréquents, et pas seulement par temps de pluie. Voilà qui ne va pas nous rassurer...

Demain, nous avons prévu de rejoindre Sucre, la Capitale Bolivienne, afin d'entreprendre les réparations nécessaires sur l'embrayage. Nous profitons des connaissances de Benito pour se renseigner sur l'état de la route. D'après lui, une fois les 100 premiers km passés, les 2 autres tiers sont neufs et asphaltés. Nous voilà en partie satisfaits de cette nouvelle.

Le parking du site « El Fuerte de Samaipata » se profile. A cette saison, les visiteurs sont peu nombreux. Nous commençons notre balade par une montée sur les chemins balisés. Avec l'altitude, nous avons du mal à reprendre notre souffle. Ici, nous culminons à 3200m, soit 300m au-dessus de Samaipata que l'on aperçoit depuis un premier point de vue.

Le paysage est magnifique. Nous surplombons les montagnes environnantes sur 360°. Le temps est si dégagé et le soleil si intense qu'il en écrase les camaïeux de vert des milliers d'arbres aux alentours.

Un peu plus loin, les enfants oublient leurs difficultés respiratoires avec l'Echo procuré par une montagne qui nous fait face. Pas question de laisser place au silence, il est bien trop tentant et surtout amusant d'entendre raisonner le son de leur voix sur ces montagnes.

Encore un petit effort, et enfin, nous voyons se dessiner l'étendue de cette pierre immense de 200 mètres de long et 60 mètres de large taillée par les Incas au XVème siècle. Sur la passerelle qui domine ce site et nous offre un point de vue panoramique impressionnant, aussi bien sur les différents motifs taillés dans la roche que sur les cimes environnantes, plus un mot. Comme envoutés par ces lieux, nous observons cette extraordinaire trace du passé, dans un silence méditatif qui nous uni dans cette même émotion.

Les panneaux d'information nous permettent de repérer ce qui semble être une représentation d'un puma ou encore de serpents. Pendant deux heures, nous profitons, souvent seuls, de cette magnifique et surprenante roche, témoin d'une vie aux antipodes de notre époque actuelle.

Le musée au centre de Samaipata complètera cette visite et nous permettra d'en apprendre d'avantage sur cette civilisation, et découvrir différents objets retrouvés dans ces ruines.

Après une balade dans cet agréable village, nous retournons au camping-car le temps de quelques devoirs scolaires pour les enfants ; mais un homme de la municipalité viendra interrompre ce moment, nous invitant à se stationner un peu plus loin. Nous suivons ses indications, la nuit est tombée, et c'est à proximité du cimetière que nous passerons finalement notre dernière nuit ici.

Dans le silence de la nuit, je suis bien trop préoccupée par cette question d'embrayage et l'annonce de Benito de cette première portion de route à passer avant de retrouver le bitume pour réussir à m'endormir... et la vision plongeante sur la sépulture d'une dénommée « Rosa » juste sous la fenêtre de notre chambre n'arrangera rien.

Quelques centaines de page de lecture plus tard, il est près de 4H du matin quand enfin le sommeil commence à m'envahir. Mais c'est ce moment qu'ont justement choisi les premières gouttes de pluie pour retentir... et avec elles, le stress d'une route boueuse ou d'éboulements me reprend immédiatement.

Dès 7H du matin, nous décidons avec Yannick de rejoindre le centre du village afin de profiter du faible réseau Wi-Fi et chercher quelques pistes d'explications par rapport à notre souci mécanique. Dès 8H30, nous prenons la route pour Sucre, non sans un arrêt chez un garagiste qui pose enfin un premier diagnostic : un roulement semble s'être déplacé. Il nous conseillera de ne pas appuyer complètement sur la pédale qui désormais fait un bruit d'air inhabituel...

Le silence envahit l'habitacle plusieurs kilomètres durant. Non seulement inquiets face au 300km qui nous séparent de la Capitale, mais surtout par l'état des routes à traverser jusque-là, avec pour seul espoir : une mécanique qui tienne le coup en pareilles circonstances.

Il ne faudra pas longtemps pour que mes craintes nocturnes ne se concrétisent. Avec la pluie, un énorme glissement de terrain a recouvert l'unique route vers Sucre. Emportant sur son passage les arbres et des rochers aussi gros qu'une voiture. Par chance, une pelle mécanique est déjà sur place et s'affaire à dégager un chemin permettant aux véhicules de poursuivre leur route.

Après plus d'une demi-heure d'attente, le chemin tracé par l'engin est boueux. Et après avoir assisté à la chute, heureusement sans gravité, d'un des motards juste devant nous, nous avançons à notre tour très prudemment sur cette portion difficile digne d'une patinoire...

Les kilomètres se succèdent, et enfin, la route asphaltée se présente. L'atmosphère ambiante se décontracte quelque peu.

Malgré le temps gris et la faible luminosité, nous apprécions les nouveaux paysages de cette région. Les cactus sont très présents et ont succédé aux forêts montagneuses. Les roches rouges uniformes laissent place désormais à une diversité de nuances qui n'est pas sans m'évoquer celles de la « Death Vallée » en Californie, et les premiers Canyons de roches rouges viendront relancer les discussions à bord.

Perchée sur plusieurs cimes, à 2900m d'altitude, la Capitale scintille dans la nuit qui commence à tomber.

Le bruit de la ville interrompt alors le silence des montagnes, et avec lui, c'est la sérénité de trouver enfin la possibilité de résoudre notre problème mécanique qui se profile. Pour la première fois de ce voyage, les bruits urbains résonnent en nous comme un élément sécurisant, et on le sait, Sucre s'apprête à rompre le calme que nous aimons tant pendant quelques jours au moins... mais ça, c'est une autre histoire !

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