Qu'elle est difficile à écrire cette page de notre histoire,
tant elle reflète l'image d'une fin si proche qui s'annonce...
El fin del mundo"
littéralement "la fin du monde", voici l'autre nom donné à la "Terre
de feu" que nous nous apprêtons à découvrir.
Autant dire qu'il est
difficile de se projeter dans la suite de l'aventure avec pareils mots.
Pourtant, on le sait, ce n'est que le début d'autre chose.
19 janvier 2020.
Après quelques jours à Punta Arenas où les dauphins du Détroit de Magellan ainsi que la
statue des "Patagons" de la place centrale (ces indiens aux grands
pieds dont vient le nom de la Patagonie) nous donnent l'impression de plonger
dans l'atmosphère du 16ème siècle, et de marcher sur les traces de Charles
Darwin et des grands explorateurs de l'époque, nous apprenons qu'une fête
traditionnelle annuelle se prépare à Villa Tehuelches, située à une centaine de
kilomètres au nord.
Souhaitant découvrir la tradition des rodéos propre à cette
région, nous prenons la route, toujours accompagnés de nos désormais fidèles
compagnons de voyage, Nico, Camille et leurs enfants alias "les suiveurs
d'étoiles" ainsi que Marine et Thomas surnommés affectueusement par les
enfants "les bidons rouges", de la couleur des 4 jerricans qui
surplombent leur 4x4.
Sur place, l'ambiance est festive. Au son des chants et
danses traditionnels, nous partageons un "Asado" d'agneau, admirons
les bérets et ponchos fait à la main par les vendeuses du marché, regardons
avec amusement Pablo participant à la tonte des moutons sur le podium, et
surtout, y découvrons les règles et la culture de la "Jinetiada"
(prononcez Rinétiada), et que l'on nommait jusqu'à
présent à tort rodéo.
Au levé de bâton, les cavaliers doivent chevaucher leur monture
endiablée durant 8 secondes minimum tout en gardant une posture gracieuse,
alternant des mouvements de gauche à droite de leur cravache en cuir au-dessus
de l'animal. Une fois la cloche retentissant, annonçant le temps nécessaire
écoulé, deux autres cavaliers se positionnent de part et d'autre du cheval
endiablé afin d'extirper le Gaucho de cette situation d'apparence très
inconfortable...
Captivés par l'ambiance si particulière qui se dégage de
cette coutume, la musique répétitive des guitares et du chanteur nous enivre
peu à peu pour nous plonger dans les rituels qui accompagnent ce sport local.
La lumière du soleil couchant souligne chaque détail des acteurs de ce
spectacle, alors une fois de plus, mon Nikon s'en donne à coeur joie !
En rentrant au camping-car, un Gaucho interpelé par notre
aventure nous offre son autocollant qui viendra compléter notre jolie
collection débutée au moment de ce voyage. Joli cadeau.
Voilà une belle journée qui s'achève, avec ses coups de
soleil et une odeur de fumée dont il nous faudra désormais nous
débarrasser... mais que de beaux souvenirs encore !
Lundi 20 janvier.
La route nous conduit désormais vers
l'Atlantique, où nous rejoindrons la mythique route 3 qui nous mènera jusqu'au
bout du monde.
En chemin, nous nous arrêtons visiter le parc naturel de Pali
Aike, composé de plusieurs volcans. L'aspect lunaire
de ce secteur est hors du commun et nous transporte dans une atmosphère
totalement nouvelle. Parfois, nous avons le sentiment d'être téléportés aux Galapagos, mais le contraste procuré par ce paysage minéral
très sombre est tel que nous perdons totalement nos repères le temps de cette
journée, et nous laissons porter par le crissement des pierres volcaniques qui craquent
sous nos chaussures, ainsi que par les nandous et guanacos qui nous observent
au loin.
Le lendemain, alors que Camille et Nico hésitent à nous
retrouver à Ushuaïa, souhaitant emprunter un autre itinéraire que le nôtre,
nous rassemblons les enfants dans leur camping-car respectifs et nous suivons
de loin dans la file formée par les nombreux véhicules souhaitant embarquer sur
le ferry qui assure la liaison vers la terre de feu. L'instant ne se prête pas
aux aux-revoir, et bien que l'on sache que la fin de notre route ensemble n'est
pas encore venue, cette séparation subite et inattendue nous perturbe l'espace
d'un instant et vient alors déstabiliser les enfants qui espèrent pouvoir
prolonger un peu ces moments avec leurs copains en se retrouvant sur le même
ferry...
Nous avançons selon les consignes qui nous sont prodiguées
et approchons soudain de la rampe d'embarquement, nous retrouvant maintenant juste derrière le camping-car de nos amis.
Instant bouleversant pour nous.
Alors que nous sommes sur le point de traverser la dernière
frontière maritime qui nous sépare de la terre de feu, je me remémore cette
même image que nous visualisions alors 2 ans plus tôt avec Yannick lors de la
préparation de notre voyage. Installés à la maison derrière l'écran de notre
PC, nous empruntions virtuellement ce passage grâce aux images de Google Streetview...avec déjà, cette sensation d'arriver au bout
du monde. L'émotion est trop forte et me submerge. Je fonds en larmes, remplie
du bonheur immense que peut me procurer ce voyage familial et ce rêve d'un jour
devenu désormais réel.
Et alors que Yannick manoeuvre sur le ferry, Camille accoure
à côté de nous en nous criant : "finalement on a décidé de vous suivre, on
préfère profiter du temps que l'on peut encore passer ensemble !". Il n'en
faudra pas plus pour redonner le sourire à tout le monde et entendre les
enfants sauter de joie à l'arrière. Que d'émotions...
Arrivés à Porvenir, cette petite ville aux maisons colorées faisant face à Punta Arenas, nous y découvrons les rituels des peuples Shelk'Nam lors de la cérémonie du Haim, au moment où les hommes devenaient adultes, et profitons une nouvelle fois du Detroit de Magellan avec un bivouac au bord de l'eau dont il est désormais coutume. Rejoints par Marine et Thomas qui, à bord de leur 4x4, progressent à une allure plus rapide que notre convoi de camping-caristes, ils ont pris l'habitude de s'organiser afin nous retrouver régulièrement sur notre parcours selon notre rythme de progression. Une nouvelle soirée au coin du feu, devenue maintenant notre rituel, qui désormais nous unit dans une atmosphère conviviale, presque familiale.
Tous ensembles, nous nous dirigeons le lendemain vers une
réserve d'où il est possible d'observer des manchots rois dits "pingüinos Rey". Sur place, une introduction réalisée
par une naturaliste nous apprend que la période est propice à l'observation
d'oeufs et de petits nés récemment. Volontairement, nous arrivons une heure et
demie avant la fermeture du site afin d'éviter la forte fréquentation des
agences touristiques en journée, et effectivement, nous serons quasi seuls à
cette heure tardive.
Instant privilégié.
Nous sommes ébahis par ces animaux d'une hauteur allant de
90cm pour les femelles à 1m20 pour les mâles, au coloris
jaune caractéristique au niveau de la tête. Et alors que nous observons
attentivement les oeufs qui apparaissent ponctuellement sous les plumes de
certaines femelles aux pattes relevées, l'un d'eux attire notre attention. Les
lunettes d'observation mises à disposition viendront confirmer notre hypothèse,
un petit est actuellement en train de sortir de sa coquille et commence à
pointer son petit bec et son duvet grisonnant. Whouaou
! Nous sommes tous enjoués par cette observation incroyable et émouvante. Et
alors que l'on nous demande de quitter le site pour cause de fermeture, Marine
et Thomas font part à la naturaliste de notre observation du jour... à cet
instant précis, nous mesurons toute la rareté de ce moment que nous venons de
vivre. En dix ans sur ce site, et depuis le début de sa carrière, jamais elle
n'a eu la chance de réaliser ce type d'observation et demande alors à nos deux
alpinistes de la diriger vers la femelle en question, suivie par sa responsable
et une autre collègue pour qui c'est également une première. Marine m'appelle
et je les rejoins en courant, impatiente de pouvoir prolonger ce moment
exceptionnel. Un véritable cadeau de la nature dans un décor splendide, où les
rayons orangés du soleil couchant viennent se refléter une dernière fois pour
aujourd'hui sur l'étendue d'eau du Detroit de Magellan en arrière-plan.
Exceptionnel...
Les visages rayonnants encore de ces magnifiques images que
nous avons eu la chance de partager ensemble, c'est au coin du feu, et heureux,
que nous achevons cette nouvelle journée.
24 janvier.
Quelques parties de pêches plus tard et quelques
nouvelles truites sorties par notre petit prodige de la cuillère dénommé
Augustin, nous voilà désormais sur le point de franchir les panneaux d'entrée
de cette ville mythique du bout du monde : Ushuaïa.
Quelques kilomètres avant, nous sommes stupéfaits par les
paysages arborés et montagneux qui l'annoncent. Nous imaginions des terres
vierges surplombées de quelques arbres à l'allure sculptée par les vents
puissants qui nous secouent depuis notre arrivée en Patagonie. Mais à l'inverse,
les paysages sont très verdoyants, offrant parfois de jolis lacs, fermés à
l'horizon par les différents reliefs, et composés de forêts denses.
Sur place, on ne peut s'empêcher de photographier les
immenses panneaux de bois qui forment la porte d'entrée d'Ushuaia... et il nous
faudra quelques minutes avant de réaliser que nous avons désormais atteint le
point le plus austral de notre voyage et distant de 13000km de notre belle
France.
Sentiment étrange... En arrivant ici, j'ai soudain
l'impression d'arriver à la fin de notre aventure en Amérique latine. Ne
sachant pas vers quelle destination nous allons désormais nous diriger dans les
mois à venir, il est difficile de se projeter vers la suite de notre aventure
qui sera forcément très différente de ce que nous sommes en train de vivre ici,
accompagnés par nos nouveaux et fidèles amis de voyage, au sein de ce continent
qui nous a désormais si bien intégré que l'on a le sentiment d'y appartenir...
Bizarrement, le moral n'est pas au plus haut et j'aurai du
mal à apprécier pleinement ces derniers moments passés en compagnie de Camille
et Nico, trop encombrée par les nombreuses questions qui me taraudent. Sans
doute la peur de l'inconnu et surtout de cette séparation désormais si proche.
Les retrouvailles improbables dans ces terres lointaines avec Lucie et Éric, deux de nos amis Poitevins, viendront me chambouler d'avantage. Alors qu'autour d'une excellente Parilla, nous évoquons plusieurs points qui nous rapportent à notre vie en France, je me sens soudain prise d'un certain vertige face à ce fossé qui s'est créé en quelques mois, entre ces deux vies qui sont pourtant les miennes. Et ce soir-là, la difficile digestion de toutes ces protéines grillées ne sera pas la seule responsable de mon insomnie...
Mercredi 29 janvier.
Nous n'avons quitté nos compagnons de route ainsi qu'une nouvelle famille de voyageurs rencontrée il y a deux jours,
l'espace d'un soir seulement, pourtant, ce matin, lors de nos retrouvailles, je
les retrouve avec ce même plaisir que celui que l'on ressent après une longue
séparation avec un proche. J'en déduis alors que ma vie est pour l'instant ici,
dans l'instant présent, et entourée de personnes avec qui je peux partager
cette expérience incroyable que l'on vit depuis près de 8 mois maintenant...
Autour d'un traditionnel café avec Camille et Nico, nous faisons le constat que nous partageons nos vies respectives et toute l'intimité qui s'y rapporte depuis 1 mois et demi déjà, rejoins depuis 1 mois avec Marine et Thomas. Jamais l'un et l'autre n'avions vécu pareille expérience avant ce voyage, et nous prenons alors conscience des liens si particuliers qui nous unissent désormais. Je suis émue de ce constat.
Pendant cette semaine à Ushuaïa, nous randonnons ensemble le
long du canal de Beagle ainsi qu'en haut du dominant Cerro Guanaco au sein du
parc national "Terra del Fuego", parcourons à vélo les berges du
canal jusqu'au phare des éclaireurs, partageons notre regard sur le superbe
musée des figurines de cire de la ville, découvrons l'historique estancia Harberton, et profitons des derniers jours de notre petite
communauté de gens du voyage autour de cet ultime feu de camp face à Port
Williams.
Le temps des aux-revoir a fini par sonner, mais nous jouons
un peu les prolongations en se suivant jusqu'au carrefour ultime, à une petite
heure de piste de notre dernier bivouac. L'occasion de quelques parties de jeux
supplémentaires pour les enfants. Ils profitent des derniers instants de
complicité qui les marqueront sans doute longtemps.
Ça y est, le carrefour est là. Et désormais le temps sonne
le rappel, notre deadline pour le départ du bateau à Montevideo étant prévue le
18 février prochain, il nous est impossible de rester plus longtemps sur ces
terres du bout du monde. Ce carrefour sera donc au sens propre comme au figuré
un véritable tournant dans notre vie de voyageur...
Regardant se réduire dans le rétroviseur le camping-car des
"Suiveurs d'étoiles", et les quelques mains qui s'agitent au travers
des vitres, nous nous éloignons de ces terres, silencieux, repensant chacun à
tous ces incroyables souvenirs qui unissent nos deux familles.
Nous voilà désormais seuls, remontant vers le Nord comme on
remonterait le temps. Chaque kilomètre de cette portion de route qui nous
ramène vers le ferry est l'occasion pour les enfants de se rappeler les
bivouacs, paysages, et moments partagés avec nos amis de voyage.
Il nous faudra sans doute un peu de temps avant de nous
approprier à nouveau un rythme à 4. Alors, nous nous raccrochons désormais à l'espoir
de retrouver Marine et Thomas, qui suivent le même itinéraire que nous jusqu'à
Valdès, mais partis depuis deux jours déjà.
Arrivés à Rio Gallegos, ville la plus importante avant le prochain millier de kilomètres, un message nous informe que nos deux alpinistes sont dans le secteur pour des raisons techniques sur leur véhicule. Arrivés au point de rendez-vous, la petite virée solitaire de Pablo alors en ligne via notre talkie-walkie permettra de repérer le 4x4 des "bidons rouges" stationné dans un autre secteur. Nous nous retrouvons avec beaucoup de plaisir et ressentions visiblement ce même sentiment de vide tout à coup. Renouant avec nos habitudes, nous trouvons ensemble un endroit au bord de la rivière et préparons un feu de camp en évoquant évidemment nos amis restés à Ushuaïa, ainsi que le départ prochain pour eux comme pour nous de cette Amérique latine si attachante.
Avant cette fin si proche, nous décidons de poursuivre
encore un peu l'exploration de ce continent, ensemble, jusqu'à la péninsule de
Valdès.
On en est certain désormais... l'aventure est loin d'être
finie !