Lundi 23 Mars 2020
Épisode 1 - Du Guatemala au Mexique - Fragile liberté



Alors que nous retirons nos premiers Quetzales au distributeur d'Antigua, l'impression sur les billets de l'oiseau emblème du Guatemala, le Quetzal, nous interpelle alors par sa jolie symbolique : la liberté.
La liberté... Après la santé, sans doute le plus beau cadeau qui nous est offert à travers ce voyage. Et même si nous en avions pleinement conscience, rêvant il y a encore quelques semaines à peine aux multiples destinations que nous envisagions pour les mois à venir, nous étions loin d'imaginer combien notre pays d'origine, qui jusqu'ici était la clé d'ouverture de pratiquement toutes les frontières mondiales, allait soudain agrémenter toutes ces serrures d'un cadenas à la combinaison chaque jour plus complexe...

28 février 2020.
Dans cet avion qui survole une partie des terres que nous venons d'explorer depuis 8 mois, je me repasse le film en accéléré et suis émue en repensant à tous ces visages qui ont marqué notre séjour en Amérique latine. Ayant en tête quelques-unes des positions de nos compagnons de route, je pense à chacun d'eux en regardant le symbole de l'avion se déplacer en temps réel sur la carte, me remémorant au passage les anecdotes qui nous unissent désormais autour de souvenirs communs. Partagée entre mélancolie et curiosité face à toutes les découvertes qui nous attendent encore, les deux escales en Colombie et au Costa-Rica seront les seules à venir m'extirper de la bulle musicale dans laquelle je me plonge pendant cette longue transition aérienne...

Il est 15h30 lorsque nous posons le pied à l'aéroport de Guatemala city, éprouvant alors ce sentiment nouveau d'une tortue tout juste dépourvue de sa carapace. Sacs sur le dos, nous nous dirigeons d'un pas assuré, vers les services de l'immigration.
Il faut dire qu'en 8 mois de voyage, nous avons écumé bon nombre de postes frontières, et ces formalités administratives sont donc devenues familières. Nous nous présentons aux autorités, confiants de par notre précieux sésame qui nous a jusqu'à présent ouvert sans problème chaque porte que nous avons voulu franchir... mais, pour la première fois, un verrou supplémentaire semble avoir été rajouté.
Alors que l'officier de l'immigration analyse nos documents, elle nous demande alors de quitter la file afin de rejoindre un médecin qui devrait nous décerner un document attestant de notre état de santé avant de pouvoir obtenir notre nouveau tampon d'entrée.
Soit.
Nous nous exécutons et franchissons enfin la porte d'entrée du Guatemala, minimisant alors cette première déconvenue face à ce virus qui se propage désormais à l'Europe et dont nous n'avons pas foulé les terres depuis 8 mois.

En sortant de l'aéroport, nous prenons la décision de rejoindre dès ce soir la jolie ville d'Antigua, où la réputation est nettement plus positive que dans la Capitale.
Après 3 heures de bouchons et quelques coups de téléphone afin de trouver un toit pour la nuit, notre agréable chauffeur nous dépose dans une auberge de jeunesse située au coeur de la ville. L'endroit est agréable mais le prix annoncé est prohibitif. Après négociation, nous convenons d'un tarif que nous ne pourrons pas reproduire régulièrement, mais l'heure tardive et les différents refus préalables nous contraignent à accepter.
Nouvelle expérience. Dépourvus de notre carapace, nous venons ce soir de comprendre à quel point nous étions désormais vulnérables...

Samedi 29 février.
Après un petit déjeuner au coeur de l'agréable patio hispanique de l'auberge, nous rentrons peu à peu dans nos nouveaux habits de backpackers et organisons cette première journée Guatémaltèque.
Plusieurs objectifs sont fixés : préparer les sacs avant un changement d'hébergement pour ce soir, retirer de l'argent liquide, trouver une agence afin d'envisager un transport vers le marché de Chichicastenango demain matin puis jusqu'à Panajachel le soir et enfin, en profiter pour commencer à découvrir la ville. Vaste programme.
Munis d'une carte sur laquelle nous avons identifié les grands points d'intérêt du secteur, je souris en observant notre petite troupe dynamique tout à coup en ordre de marche et plutôt bien organisée. On le sent, le rythme est différent et il semble laisser désormais beaucoup moins de place à la liberté d'improvisation...

Sacs bouclés, hébergement du soir réservé, argent en poche, nous poursuivons notre chemin sous le soleil et la chaleur d'Antigua, changeant régulièrement de trottoirs à la recherche d'un peu d'ombre. Admiratifs de l'architecture coloniale de cette charmante ville, nous nous arrêtons alors dans une agence qui propose l'ascension du volcan Acatenango qui fait face à l'impressionnant Fuego, ce volcan en activité qui domine Antigua, et dont les nuages de fumée ne cessent d'attirer nos regards depuis ce matin.
Et alors que nous ressortons de cette agence, un homme d'un certain âge vient à notre rencontre afin de nous proposer ses services. D'abord un peu méfiants mais curieux de cette nouvelle rencontre que la vie sait mettre sur notre route, nous engageons très vite la conversation et commençons à lui faire part de nos intentions de visites. Rapidement, il vient à nous proposer des solutions pour nous rendre dans les différents sites que nous souhaitons rejoindre. D'un simple treck au volcan envisagé dans quelques jours, nous voici en quelques minutes en train de planifier tout notre séjour au Guatemala ! Et après l'avoir accompagné dans l'agence avec laquelle il travaille, nous ressortons avec un planning qui se précise sur les 20 jours à venir, et tous les billets de transport nécessaires à nos futurs déplacements pour les prochains jours. Parfait.
En 2 heures à peine, nous venons de lever un grand nombre de nos questions et hypothèses alors en suspens grâce à la rencontre providentielle avec Marco.
Il ne nous reste plus désormais qu'à profiter de la découverte de cette ancienne Capitale parée sur ces façades de nombreux tissus et couronnes de fleurs violets en préparation de la semaine Sainte, et sous un soleil toujours écrasant.
Après le déjeuner, Marco nous propose de nous retrouver afin de découvrir ensemble une partie de la ville. Il nous accompagne dans un des "chickenbus" (ces bus typiques d'origine canadienne qui transportent aussi bien des locaux que des volailles, à l'origine de son nom) jusqu'à un producteur de cacao. Ici nous découvrons les secrets de la fabrication du chocolat, pur, sans graisse. Nous goûtons aux fèves des cabosses, d'abord fraîches puis toastées... un régal, repartant évidemment avec quelques gourmandises en poche. Depuis le temps que nous n'avions pas mangé un bon chocolat !

Après avoir laissé Marco sur la place principale jusqu'à notre futur rendez-vous prévu vendredi prochain afin de caler la suite du programme, nous profitons de l'après-midi pour visiter la cathédrale dont une grande partie doit être restaurée suite aux deux tremblements de terre de 1973.
La vision du ciel bleu et des quelques rares nuages au travers de ses voûtes est très poétique et inspirante.
Et c'est avec ces jolies images en tête que nous partons rechercher nos baluchons avant de prendre nos marques dans notre logement de ce soir.

Dimanche 1er mars.
Ce matin nous nous reconnectons avec les contraintes de timing et prenons place dès 7h à bord d'un shuttle privé, ces minibus à l'usage très fréquent ici. Nous prenons la route en direction de Chichicastenango, un village dont la réputation s'appuie sur son énorme marché qui a lieu chaque jeudis et dimanches.
Impressionnante concentration d'objets et de locaux, ce lieu devenu touristique au fil des années n'en demeure pas moins très populaire. Nous déambulons dans ses nombreuses allées, et admirons toutes les couleurs des textiles brodés et surtout des objets d'art pour lesquels nous ne pouvons lutter contre l'achat coup de coeur du moment...
Un peu plus loin, notre visite nous mène vers les deux églises positionnées au coeur de cette agitation. Sur les marches menant au parvis, les vendeurs de fleurs y ont étalé leur marchandise et les croyants brûlent tellement d'encens que la vision de la façade nous apparaît à peine derrière l'épaisse fumée blanche et odorante qui envahie les lieux. L'atmosphère est très religieuse et nous serons aux premières loges d'une procession qui traversera une petite allée reliant les deux édifices.
Pour les enfants c'est une première, ils observent le cortège et les porteurs avec l'effigie de la vierge, dans une agréable odeur d'encens qui embaume soudain cette partie du marché.
Pour le déjeuner, nous partageons la table et un repas populaire avec des locaux, goûtant alors aux tortillas de maïs, parfois bleutées selon le type de grains utilisé, et dont la préparation donne lieu à des claquements de mains aux allures de spectacle de percussions qui a trouvé chez nous plus d'intérêt que pour leur goût jugé à l'unanimité très fade.

Après cette première partie de journée riche en couleurs, nous empruntons un autre shuttle en direction du lac Atitlan.
À bord, la majorité de français que nous sommes trouve rapidement au travers du voyage un sujet de conversation qui nous fera oublier les virages parfois mal négociés par notre chauffeur.
Arrivés sur place, n'ayant pas réservé d'hôtel, nous décidons de rejoindre le petit village de San Pedro de l'autre côté du lac et qui semble plus agréable que Panajachel. Une famille bordelaise faisant partie du voyage est également indécise quant à la suite à donner concernant leur installation. Nous leur proposons alors de partager une lancha, ces embarcations à fond plat qui assurent les liaisons sur le lac. Nous voilà donc partis tous les 8 au milieu de cette superbe étendue d'eau bordée de quelques villages et de volcans verdoyants.
Arrivés sur l'autre rive, c'est tout naturellement que nous envisageons de partager le même hôtel et finalement la même table pour le dîner.

Pendant les deux jours suivant, nous explorons les villages environnants, profitons de balades en compagnie de Jean-Michel, Patricia et leurs enfants, découvrons le travail d'une coopérative regroupant 20 familles de tisseuses locales dont les teintures sont toutes réalisées avec des produits naturels de la région, apprécions les moments de transports en Lanchas et les vues sur le lac, expérimentons une première escapade en tuk-tuk, et profitons de temps de pause pour quelques leçons aux enfants.
L'occasion pour nous de retrouver un peu de calme dans notre programme quotidien, rythmé alors uniquement selon nos envies du moment. On souffle un peu.
Malheureusement, à l'aube de notre départ, une bactérie sans doute issue de l'eau consommée ici, qui provient parfois d'une eau collectée et simplement filtrée, viendra perturber la nuit de Pablo et vider mon énergie ainsi que celle des enfants le lendemain.
Nous prolongeons alors notre séjour à l'hôtel jusqu'à l'heure de départ de la prochaine lancha qui nous permet de rejoindre un nouveau shuttle à Panajachel en vue d'un retour à Antigua.
Ce soir, nous retrouvons notre chambre au coeur d'Antigua, ne sachant pas si nous retrouverons suffisamment la forme pour la journée qui s'annonce, car demain, l'ascension de l'Acatenango nous attend.

5 mars 2020.
Une bonne nuit de sommeil et la prise d'une pharmacopée apparemment appropriée nous invite à partir à l'aventure. Toujours affaiblis Pablo et moi, nous appréhendons tout de même l'effort qui s'annonce important et difficile.
Et effectivement, dès les premiers mètres, le ton est donné, les billes de roches volcaniques se dérobent à chacun de nos pas et ce n'est pas les 1300m de dénivelé qui nous font face qui vont venir nous motiver face à cette vitalité à la baisse. Nous avons pour l'occasion loué les services de 2 chevaux, un soulagement nécessaire pour les enfants sans qui les 4h30 de montée auraient été très pénibles. Une aide dont je profiterais également, me délestant de mon sac, et sans quoi l'ascension aurait été très compliquée aux vues de mon état de fatigue.
Le temps nous chante les 4 saisons aujourd'hui, avec en bas un soleil insupportable pour nos organismes, suivi plus haut d'un vent froid qui pousse un brouillard épais.
Non mécontents de rejoindre le campement situé à 3600m, nous prenons nos marques dans l'une des 2 grandes tentes que nous partagerons cette nuit avec 4 autres personnes. Puis, nous partons à la recherche de bois pour une flambée indispensable pour nous réchauffer, et qui n'est pas sans nous remémorer le souvenir de toutes ces belles soirées passées au coin du feu avec les "suiveurs d'étoiles" et les "bidons rouges" au sud du Chili et de l'Argentine...
Après un coucher de soleil chargé de nombreux nuages, le vent finit enfin de libérer la vue tant espérée sur le Fuego que nous entendions déjà vrombir depuis notre arrivée au camp. Incroyable ! Les explosions de lave rouge s'élèvent dans la nuit et coulent de toute part sur les flancs du volcan. Les vrombissements sont parfois très intenses et surtout très fréquents. Instant magique.
Restée un long moment seule dans la nuit à essayer de capter quelques images à l'aide de mon fidèle Nikon, le froid aura raison de ma fascination pour ce spectacle que nous offre dame nature. Je rejoins donc le groupe déjà couché depuis un long moment, et tente de me faire une place au milieu de cette cacophonie de ronfleurs... la nuit promet d'être courte !

Réveillés à 4h du matin en vue d'une dernière ascension de 376 mètres jusqu'au sommet, le froid de la nuit et l'écoute attentive des multiples explosions qui me fascinaient tout autant que les nuances de la lave auront eu raison de mes dernières forces. Prises de nouveaux maux de ventre et fatiguée, il ne me faudra que quelques mètres de montée au milieu de la purée de pois et du froid de la nuit pour comprendre que ma place n'était pas en haut. Je décide alors de rebrousser chemin et d'attendre le lever de soleil au camp. Pablo, qui est dans le même état, se verra rassuré par ma décision et m'accompagnera jusqu'à la tente pour s'y rendormir.
Je regarde régulièrement dehors espérant que le brouillard se lève, et suis surtout inquiète pour Lou qui a souhaité aller jusqu'au bout de cette ascension. Avec Yannick, ils reviendront 3 heures plus tard, trempés et frigorifiés, sans avoir vu autre roche volcanique que celle qui crissait sous leurs chaussures... Pablo, pendant ce temps aura récupéré un peu, suffisamment pour désormais attaquer la descente sans l'aide des chevaux répartis la veille au soir.
2h30 de marche nous attendent dans un brouillard qui finira par se lever totalement une fois en bas, mais dont l'humidité apportée est telle que les multiples glissades sur la boue nous obligent à maîtriser notre équilibre afin d'éviter les nombreux randonneurs entreprenant à leur tour cette ascension. Une montée qui restera pour nous la plus difficile, plus encore que celle de la montagne aux 7 couleurs au Pérou malgré ses 5036 mètres d'altitude.

Enfin au sec, il est temps désormais de regagner le confort de notre hôtel et surtout une laverie nous permettant de retrouver la couleur originale de tous nos vêtements et chaussures couverts de boue et de poussière.
Nous rejoignons enfin Antigua ce vendredi midi, fatigués et honteux de l'état déplorable dans lequel nous croisons le propriétaire de la maison mais qui semble visiblement habitué en nous demandant si nous arrivions du volcan...

Dimanche 8 mars.
Il est 4h du matin quand nous quittons l'ancienne capitale. 7 heures de route nous attendent avant de rejoindre Copan aux Honduras.
Une nouvelle frontière à passer et quelques interrogations à la vue de l'origine de nos passeports, mais la préoccupation des agents se limite surtout ici à s'assurer que nous arriverons bien à faire l'appoint financier afin de s'acquitter de la taxe d'entrée sur leur territoire. Yannick ressort afin d'essayer de faire de la monnaie, et pendant ce temps je patiente en compagnie de l'antipathique agent qui me fait face. Ses collègues autour d'elle n'ont visiblement pas prévu d'alléger la file d'attente qui commence à se former... après 10 minutes il en est trop et je perds alors patience, lui expliquant que je ne suis certainement pas la seule à devoir régler cette taxe et que la moindre des choses serait qu'ils puissent assurer la monnaie. Face à mon regard noirci des quelques heures de sommeil me faisant défaut, elle finit par laisser son siège et trouve la solution auprès d'un de ses collègues. Enfin !
Yannick revient sur ces entrefaites, agacé lui aussi de l'attitude des locaux disposant de liasses de billets en vue d'un change, mais qui restaient impassibles face à sa simple demande de conversion de quelques billets. Décidément, nous nous sentons bien seuls face à cette absence de bienveillance à laquelle nous ne sommes pas habitués.

Arrivés à Copan, nous nous déchargeons de nos sacs avant de partir découvrir les ruines Mayas du village. Une première pour nous.
À peine avons-nous passé le portail d'entrée que nous sommes subjugués par les magnifiques perroquets qui nous survolent passant d'un arbre à l'autre. Splendide. Natif des forêts tropicales, le Ara macao est très présent dans la culture Maya.
Derrière les premiers bosquets de ces grands arbres tropicaux, nous découvrons enfin les vestiges de cette époque, datant de 1500 ans en arrière, et prenons le temps de parcourir cet immense site dont le calme généré par l'absence de visiteurs n'est pas pour nous déplaire.
Sur l'arrière du temple principal, les enfants reconnaissent le terrain dédié au jeu de pelote, et dont le perdant était alors sacrifié...
Au milieu de la multitude de détails sculptés, les imposantes pierres destinées à faciliter la mise à mort des hommes nous choquent, et restent le témoin d'une culture décidément très loin de la nôtre.
Après cette jolie balade culturelle et de longues minutes passées à tenter de photographier au vol, sans succès, ces colorés et très vifs oiseaux, nous profitons de l'après-midi pour récupérer un peu de ce rythme fatiguant que nous vivons ces derniers temps.

Le lendemain matin, nous reprenons la route en direction du Guatemala, retrouvant au passage notre charmante officier du poste frontière, visiblement parée du même sourire à l'envers que la veille...
La route est longue et sinueuse pour rejoindre Rio Dulce et son secteur de forêt tropicale qui borde la mer des Caraïbes. La pluie s'est invitée au voyage. Les heures et les paysages défilent sous le regard curieux et très patient de Lou et Pablo.
Enfin, après 8 heures d'un trajet peu confortable, une lancha nous mène jusqu'à un hôtel confiné au milieu de cette imposante forêt tropicale.
Comme un clin d'oeil, on nous attribue le cabanon "tortue". Cela nous fait sourire et nous rappelle combien nous étions libres grâce à elle...
Souhaitant rejoindre Livingston par la jungle le lendemain en compagnie d'un guide, il nous faudra adapter notre sortie du fait des pluies diluviennes qui s'abattent ici depuis 4 jours. Une petite éclaircie nous permettra tout de même de la rejoindre en bateau, mais la vision de la mer des Caraïbes marron au lieu du bleu intense que nous leurs avions décrit laisserons à Lou et Pablo un léger goût de déception.
Heureusement, dans ces conditions climatiques peu engageantes dont l'humidité est telle que nous dormons dans des draps moites, les enfants trouveront à l'hôtel de quoi compenser ces déconvenues. Un petit toucan, habitué des lieux depuis de nombreuses années vient chaque jour se poser à proximité des cuisines afin de glaner quelques morceaux de papaye ou encore quelques croquettes pour chien. Lou aura la chance de le prendre sur son bras afin de lui offrir quelques gourmandises... jusqu'à ce que le volatil en ait assez, au point de lui pincer plusieurs fois la joue de son grand bec coloré. Mais il en faut beaucoup plus pour impressionner la plus zen de la famille, et c'est donc Yannick qui interviendra afin de le faire déguerpir. Sacré souvenir.
Installés sur la grande tablée au milieu de voyageurs de tous horizons, nous faisons connaissance d'Eva et Sébastien, deux Parisiens prévoyant de visiter le Belize tout comme nous et à des dates similaires avant le Mexique.
Notre départ est prévu demain, tout comme eux, mais nos itinéraires diffèrent. Nous échangeons donc nos coordonnées, sans toutefois imaginer à ce moment que nous allions nous retrouver dans un avenir si proche.
La nuit est désormais tombée sur cet endroit serein et propice aux échanges et aux belles rencontres entre voyageurs, mais nous sommes malgré tout heureux de quitter demain cette atmosphère humide qui ne convient décidément pas à nos organismes.

12 mars 2020.
Qu'elle fût longue et pénible cette route jusqu'à Seymuc Champey. Après 8 heures dans un nouveau shuttle, la piste menant jusqu'à notre hôtel est si mauvaise que le transport se fit à l'arrière d'un pick-up agrémenté d'arceaux métalliques permettant de s'agripper. 45 minutes de montée à la seule lumière des phares qui marqueront autant nos souvenirs que notre état de fatigue déjà bien entamé par les 8 heures précédentes.
Mais après une nuit de sommeil réparatrice, nous découvrons sous un soleil radieux les magnifiques bassins en cascade de Seymuc Champey. Une émotion particulière à la vue du panorama global sur le site depuis le mirador, repensant alors au site très similaire de Plitvice en Croatie que nous avions découvert 3 ans plus tôt lors de nos premières vacances à bord de notre tortue.
Le site est bordé par une forêt tropicale haute et dense dans laquelle les oiseaux se font entendre et les odeurs de miel nous enivrent de manière subtile par moment. L'eau turquoise et la chaleur nous invitent à profiter de ces piscines naturelles. Les enfants sont heureux de cette baignade dans un site aussi exceptionnel, et nous en profitons pour tester la "fishpedicure", très en vogue dans plusieurs salons d'esthétique. Drôle de sensations que de sentir ces petits poissons venir se délecter de nos peaux mortes pendant un temps infini. Moins agréable et même douloureux par contre quand les plus gros s'y mettent. Yannick et Pablo, visiblement plus goûtus en feront malheureusement les frais !
À la sortie, nous entamons la conversation avec un producteur de cacao et de cardamome, dont le Guatemala est le plus gros producteur sans toutefois en consommer cette dernière épice. Je lui propose alors de lui acheter s'il le souhaite 1kg de cacao, et bien que son exploitation soit à 10 min de marche, il ne mettra pas longtemps à répondre à notre demande avec l'aide de sa communauté présente sur place. Pour le remercier, je lui propose de lui transmettre par mail une photo en compagnie de sa femme et de ses deux enfants ce qu'il accepte volontiers.
Nous retrouvons notre hébergement et son verdoyant jardin dans lequel poussent naturellement des cacaoyers ainsi que la cardamome que j'avais remarqué sans en connaître le nom afin d'y passer notre dernière soirée.

13 mars 2020.
Ce matin, c'est en famille que nous prenons place à bord du 4x4 qui nous mène jusqu'à une réserve où nous pouvons espérer observer le Quetzal, cet oiseau vert et rouge à la longue queue qui oscille comme un serpent pendant le vol. Très sacralisé par les Mayas, il est représenté sur bon nombre de fresques et d'objets, en plus d'être frappé sur la monnaie du pays.
Accompagnés par Andréa, qui a géré notre installation à l'hôtel, et conduit par Manuel, son papa, qui espère avoir une nouvelle opportunité d'apercevoir cet emblématique et fragile volatile, nous parcourons ensemble les 2 petits kilomètres de sentiers aménagés au travers de la forêt.
Pensant avoir aperçu un de ces spécimens sur un arbre trop éloigné pour une observation optimale, nous apprenons à l'occasion de cette visite que cet oiseau ne survit pas à la captivité... s'il perd sa liberté, il se laisse mourir. Sacré réflexion philosophique !

Après cette balade, nous quittons le parc en direction de Coban, ville la plus proche d'où nous devons partir dès demain pour Florès, notre dernière destination avant notre vol prévu pour le Belize le 17 mars prochain.
Sur la route, Andréa nous recommande un hôtel qu'elle appelle afin de confirmer la disponibilité avant notre arrivée. Tout est calé et elle négocie par la même occasion le prix, pourtant, en arrivant sur place, la gérante nous demande notre origine et nous annonce soudain qu'un groupe d'étudiants est arrivé et qu'ils sont depuis complets... Une fois de plus nous évitons de nous attarder sur cet incident et trouvons sans problème une chambre dans l'hôtel suivant.
Pourtant, à partir de cet instant, nous récupérons du réseau Wi-Fi et prenons le temps d'analyser l'évolution de la situation mondiale au regard de la pandémie qui frappe actuellement l'Europe et qui progresse dans les Amériques. La situation est préoccupante et l'on comprend au travers des récits de voyageurs d'Amérique latine que les mesures commencent à se durcir et que la liberté de circulation est désormais et pour beaucoup interdite.
On sent alors le vent tourner et notre intuition nous dit que l'on sera probablement les prochains sur la liste...
Tout est encore stable ici au Guatemala et seulement 2 cas de personnes infectées par le Coronavirus sont recensés, ce qui nous rassure un peu face à l'augmentation exponentielle en Italie et désormais en France.
Mais à partir de ce jour, nous restons à l'affût des différentes informations que nous pouvons recueillir.

15 mars 2020.
Après avoir rejoint la veille la ville de Florès et la Casa de Grethel construite sur l'autre rive de la péninsule, nous attendons le van qui doit nous conduire aux ruines Mayas de Yaxha. Mais alors que nous entamons la conversation avec un couple de Madrilènes, ceux-ci nous apprennent que le gouvernement a décidé, à compter d'hier minuit, de fermer aux visiteurs l'accès à tous les sites touristiques du pays.
Souhaitant vérifier cette information, je contacte Marco qui n'était pas au fait de ces restrictions. Et c'est finalement un résident qui viendra nous confirmer qu'aucun bus ne passera aujourd'hui.
L'étau commence à se resserrer.
Nous prenons alors des informations auprès du site de gouvernement et des locaux. Des bruits commencent à courir quant à une potentielle fermeture des frontières, nous nous posons alors la question pour notre vol prévu après-demain, et envisageons de ne pas embarquer au risque de voir la situation également se dégrader au Belize, pays où le niveau de vie est nettement plus élevé qu'au Guatemala.
Les contacts avec les amis et la famille en France ne nous rassurent pas, ils nous informent des mesures de confinement mises en place et surtout de la fermeture des frontières avec l'arrêt des vols commerciaux arrivant depuis l'étranger.
L'épidémie devient importante en France et comparé à la liberté de mouvement dont nous pouvons encore bénéficier ici, nous discutons avec Grethel, la patronne de l'hôtel, et envisageons alors avec elle de rester ici le temps nécessaire. Avec beaucoup de bienveillance, elle nous donne quelques conseils et nous dit que l'on peut rester là en sécurité tout le temps souhaité, allant même jusqu'à nous proposer de nous installer dans une chambre plus spacieuse. Cette attention nous fait chaud au coeur et nous nous sentons protégés au sein de son établissement.
Le soir même, recevant un message d'Eva et Sébastien rencontrés à côté de Livingston, nous apprenons qu'ils sont eux aussi sur Florès. Nous montons à bord de la lancha qui nous permet de traverser le lac, et les rejoignons pour le dîner, heureux de partager un moment avec d'autres voyageurs. Comme nous, ils ont tiré une croix sur le Belize et envisagent de rejoindre le Mexique dès le lendemain en vue de poursuivre leur séjour initialement prévu là-bas.
Nous nous quittons sur la rive qui nous sépare de notre hôtel espérant que le lendemain nous permette d'y voir plus clair pour la suite de notre aventure.

Mais le lendemain soir, le président du Guatemala impose l'arrêt complet, à compter du 17 mars, de tous les transports, la fermeture des écoles, et de tous les lieux touristiques et commerces autres que ceux alimentaires.
Les choses s'emballent et les nouvelles d'Amérique latine commencent à nous inquiéter. Certains étrangers ne sont plus les bienvenus et on les renvoie de leurs hôtels, d'autres sont dénoncés par les locaux et on vient les déloger de leur lieu de stationnement. Le vent tourne à nouveau, et malgré une agréable soirée partagée avec des argentins et la famille de Grethel qui nous ont conviés à l'asado organisé à l'occasion de l'anniversaire de sa fille, nous sommes tourmentés à l'idée de nous retrouver désormais coincés ici à 8 heures de route du premier aéroport international...

Mardi 17 mars.
Cette journée va s'annoncer décisive pour nous.
Seuls résidents avec un professeur de Madrid également bloqué à la Casa de Grethel, je suis oppressée par le silence qui règne désormais de manière anormale autour de nous. Les allers-retours des lanchas entre les deux rives n'ont plus lieu faute de touristes, les restaurants de Florès ont baissé leur rideau et les passants se sont comme volatilisés...
En regardant ce vide autour de nous, j'ai alors en tête l'image du Quetzal en cage et comprend soudain l'importance vitale que peut avoir la liberté dans notre équilibre quotidien.
Les enfants sont quant à eux ravis de profiter du plongeoir donnant sur le lac sans risque de voir arriver la lancha qui les obligeait à sortir. Les voir profiter ainsi m'apaise l'espace d'un instant.
Toujours sans nouvelles de l'ambassade que j'ai contactée à plusieurs reprises, je passe la journée à scruter les infos et à contacter famille et amis afin de me faire une idée précise de la situation. Notre vol pour Belize a été annulé et il n'est plus possible de passer la frontière par voie aérienne.
Je commence à envisager l'idée de rejoindre le Mexique et envoie un message à Eva afin de connaître la situation sur place.
Profitant d'un échange avec Libby, la responsable de l'agence avec qui j'essaye de me faire rembourser les billets de transfert entre l'aéroport de Belize et l'île de Caue Caulker que nous avions prévue de rejoindre, je lui demande s'il est encore possible de franchir la frontière mexicaine dans les jours qui viennent. Elle me confirme qu'elle a accompagné un groupe de 50 personnes aujourd'hui ainsi qu'une famille de français, et m'explique qu'elle a une connaissance au niveau des services de l'immigration qui lui permet de faciliter les rares et difficiles passages actuels concernant les européens. Elle me précise aussi que si l'on souhaite s'y rendre, elle dispose d'un véhicule avec une plaque d'immatriculation personnelle et non touristique et que moyennant un prix certain, elle accepte de prendre le risque de nous y conduire.
À peine aurais-je raccroché avec Libby, qu'Eva et Sébastien me contactent en live par WhatsApp. Confortablement installés à la terrasse d'un café, ils me prouvent que le pays n'en est pas encore au même stade que le Guatemala et que si nous souhaitons profiter de quelques jours de liberté supplémentaires, c'est encore possible.
Il n'en faut pas plus pour me convaincre. J'appelle Yannick qui a rejoint les enfants dans le lac et lui expose les faits. Décision est prise, nous allons tenter de rejoindre le Mexique.
Je rappelle Libby, convient avec elle d'un départ dès 5h du matin, et prévient Grethel de notre décision.
Nous demandons aux enfants de préparer immédiatement leurs sacs et leurs expliquons tout ce qui vient de se passer pendant leur après-midi d'insouciance. Ils comprennent immédiatement la situation et s'empressent de partir à la douche avant de rassembler leurs affaires.
Mais alors que nous revenons avec Yannick d'une dernière visite à Florès pour quelques achats de nourriture et le retrait de l'argent nécessaire à toutes nos factures, Grethel ralentit le bateau et nous questionne sur nos conditions de passage, inquiète pour notre sécurité. Arrivés à l'hôtel, elle contacte plusieurs de ses connaissances dont une, vivant aux Mexique, et deux autres travaillant pour des agences touristiques locales. Tous les 3 sont unanimes, les européens ne passent plus depuis 14h ce jour.
Souhaitant rester confiante et ne m'arrêtant plus à ce type d'information sans avoir pu le vérifier, je lui demande d'appeler Libby, qu'elle connaît également. Cette dernière lui confirme ce qu'elle m'expliquait l'après-midi par téléphone. Nous serons probablement dans les derniers à passer mais c'est encore possible.
Voyant l'inquiétude et aussi la déception de voir ses derniers clients partir dans le regard de Grethel, je lui promets de revenir ici si les choses venaient à mal tourner et convient de lui envoyer un message pour la tenir informée une fois sur place.
Nous rejoignons les enfants qui ont respecté à la lettre les consignes données avant notre départ, allant même pour Lou jusqu'à établir une checklist qu'elle a collé sur la porte afin de ne rien oublier en partant... quelle preuve d'amour ils nous offrent avec ce type d'attitude, nous facilitant la tâche, conscients des moments difficiles auxquels nous sommes confrontés, et participant à leur manière à l'adaptation et à la réactivité indispensables dans ces circonstances. Qu'ils ont grandi mes petits pendant ces 9 mois d'aventure familiale... Le moment n'est pas propice à l'émotion mais je n'en suis pas moins émue par leur attitude responsable.

Mercredi 18 mars.
Il est 4 heures du matin quand le réveil sonne le début de cette journée si particulière.
Après un dernier point sur la liste établie par Lou et un dernier contrôle de la chambre, nous attendons le conducteur de la lancha afin de rejoindre l'autre rive. Mais l'heure du rendez-vous étant passée et un cadenas verrouillant le portillon de l'hôtel, je n'ai d'autre solution que de téléphoner à Grethel. Elle sort alors de sa chambre au rez-de-chaussée, en pyjama et encore endormie, et nous installe sans un mot dans l'embarcation qu'elle pilotera elle-même. Il fait nuit, et seules les lumières des rues de Florès permettent de nous sortir de la pénombre. Au loin, un véhicule est stationné à l'endroit prévu, Libby et son mari patientent à côté.
Un dernier au revoir à Grethel rempli de remerciements chaleureux et nous voilà installés à bord de notre voiture clandestine.
Libby monte la dernière et à peine a-t-elle refermée sa portière qu'elle se retourne vers nous en nous disant : "vous êtes croyants j'espère, car maintenant c'est le moment de prier !", terminant alors par un signe de croix et un baiser sur sa main dont elle reproduira le geste à l'approche de la frontière et à chaque voiture de police croisée... Ambiance !
Pendant les 3 heures de route qui nous séparent de la frontière, elle nous apprend que nous sommes les derniers qu'elle a décidé d'aider du fait de la présence des enfants, car elle et son mari risquent désormais 2 ans de prison pour le fait de circuler avec plus de 4 personnes à bord et surtout des touristes. L'ambiance est pesante et nous oscillons avec Yannick entre l'évocation de la gestapo et le souvenir des migrants Vénézuéliens croisés à la frontière entre le Pérou et l'Équateur en octobre dernier.
Il y a quelques mois à peine, j'étais troublée par la liberté de voyage que nous permettait notre passeport face à toutes ces familles fuyant leur pays afin de garantir leur sécurité, et aujourd'hui, j'ai le sentiment de partager une partie des émotions auxquelles elles sont confrontées pendant leur exil.
Pour la première fois de ce voyage, le sentiment de peur commence à pointer son nez. Je me retourne pour regarder les enfants, ils se sont endormis... je me convaincs alors de mettre à profit ce temps de route pour me reposer un peu moi aussi et tâche de me recentrer sur l'instant présent.

Arrivés à la frontière, le grand portail métallique bleu du Guatemala s'élève devant nous. À quelques centaines de mètres, nous observons celui du Mexique. Libby appel son contact qui l'informe de la nécessité de patienter un peu... l'occasion de partager un café et un chocolat chaud pour les enfants.
Il est maintenant temps d'y aller.
Nous nous approchons avec le véhicule espérant voir cette grande porte s'ouvrir enfin, mais un homme nous demande de prendre nos sacs et de parcourir à pied la distance qui sépare les deux portails. Libby est avec nous et immortalise ce moment à l'aide de mon portable. Elle nous guide vers son contact, qui est accompagné de plusieurs collègues. Le système est bien rodé et nous permet d'obtenir notre tampon de sortie du Guatemala.
Mais en ressortant de ce petit bureau, nous prenons conscience que face aux dernières décisions politiques, bon nombre d'officiers ne sont plus présents sur place, au point que le barnum installé pour les médecins chargés de vérifier la température est désespérément vide. Nous voilà désormais seuls entre deux frontières, avec l'impossibilité de rentrer à nouveau au Guatemala, et l'espoir de enfin voir bouger le portail qui nous sépare du Mexique. Moment d'attente pénible et anxiogène...
Puis tout à coup, trois officiers nous demandent de les suivre. Pensant Libby toujours avec nous, nous pressons le pas et commençons à nous engager dans un couloir grillagé aménagé pour les piétons. Quand soudain, je réalise qu'elle est restée côté Guatémaltèque et la voit s'éloigner avec son mari. N'écoutant que moi, je repars en sens inverse, criant son nom au milieu de ce nomansland jusqu'à la voir enfin se retourner. Je la remercie infiniment à distance pour tout ce qu'elle vient de faire pour nous, et ne pouvais me résoudre à la voir partir sans lui dire un dernier au revoir. Me voilà soulagée.
Retrouvant Yannick et les enfants et rejoins par un Allemand dans la même situation que nous, c'est sans soucis, mais groguis par toutes ces émotions que nous regardons impassibles l'agent des douanes tamponner une nouvelle fois notre passeport.
Nous avons dû mal à réaliser ce qui nous arrive.
Je profite du réseau internet encore présent avec ma carte pour envoyer un message à Grethel ainsi qu'à Libby. Leurs réponses sont pleines de bienveillance et les mots employés témoignent de beaucoup d'affection à notre égard. Christophe, ce prêtre évangélique que nous avions rencontré à Viña Del Mar nous l'avait pourtant prédit, ce voyage est décidément une succession de belles rencontres...

800m plus loin, le seul taxi présent à la sortie du poste frontière semble n'attendre que nous.
Direction Palenque, où nous espérons profiter quelques jours encore de la fragile liberté que ce pays semble encore vouloir nous offrir...

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